Le guérisseur et la mort
asseyez-vous. Par ici, près de la fontaine. Bien, pourquoi désirez-vous me parler ?
— Maître Isaac, c’est à propos de Lucà. On l’accuse d’avoir tué maîtresse Magdalena puis maître Narcís, et il ne peut avoir fait cela. Non, c’est impossible.
— Pourquoi parlez-vous ainsi ? Si ce que j’ai entendu est vrai, ses remèdes sont puissants et peuvent par conséquent être dangereux. Vous devriez le savoir, vous qu’il a aidée malgré vous.
— Non, maître Isaac, ce n’est pas vrai. Je sais que chacun pense ainsi, mais c’est inexact. C’est entièrement ma faute si je me suis abandonnée à la maladie, je le jure. J’étais si misérable et je me sentais abandonnée de tous, même de mon pauvre papa, au point que je ne voulais aller mieux.
— Je suis persuadé que votre père ne vous aurait pas trahie, maîtresse.
— À cause de son chagrin, il se montrait pour ainsi dire incapable de parler. Nous ne pouvions évoquer le passé et si, par malheur, quelque chose le lui rappelait, il se mettait à pester contre Marc et ce qu’il m’a fait. Je désirais simplement m’écarter de tous et rester seule.
Elle reprit son souffle pour mieux maîtriser les tremblements de sa voix.
— Maître Lucà a été très bon, continua-t-elle. Il ne m’a jamais posé de questions auxquelles je n’aurais pu répondre et n’a jamais pensé que je devrais me montrer aimable avec le premier venu. Ses remèdes m’ont aidée à dormir, oui, mais il a fait plus que ça. Il m’a expliqué pourquoi il voulait m’aider.
— Oui ?
— Parce qu’il aimait bien papa et ne pouvait supporter qu’il souffre à cause de moi.
— Croyez-vous qu’il était honnête en tenant de tels propos ?
— Je ne pense pas qu’il mentait. Il apprécie beaucoup papa. Après souper, quand il fait trop sombre pour travailler, il discute avec lui pendant des heures. Ils abordent toutes sortes de sujets et je pense que les soucis de papa disparaissent peu à peu. Par égoïsme, je méconnaissais que ma tristesse et ma maladie lui causaient autant de chagrin que la mort de maman. J’aurais tout aussi bien pu le tuer en lui enfonçant des poignards dans la chair. J’ai donc essayé d’aller mieux et tout fut ensuite plus facile. Je n’ai pris des gouttes que pendant deux jours. Elles avaient un goût affreux. Comprenez-vous ce que j’essaye de vous dire ?
— Très bien, oui.
— Aujourd’hui, papa et Lucà passent davantage de temps ensemble, à discuter et à travailler.
— Lucà serait-il également menuisier ?
— Je ne crois pas, hésita la jeune fille. Comment serait-ce possible ? Mais papa a bien souvent besoin de quelqu’un pour lui tenir une pièce de bois qu’il façonne, et depuis qu’il a perdu son apprenti, il lui faut demander à un voisin de l’aider. Lucà s’interrompt alors pour lui prêter main-forte. Ils sont amis, et Lucà est un homme bon. Il m’a raconté qu’il avait commis quelques bêtises quand il était plus jeune, des choses dont il avait honte, mais qu’il n’avait jamais nui à qui que ce soit.
— Qu’attendez-vous de moi ?
— Ne pourriez-vous sentir quelques-unes de ses préparations pour voir si elles ne sont pas dangereuses ? Je peux vous dire ce qu’il y a dedans. J’ai apporté deux flacons.
— Excellent, fit Isaac. Il devrait y avoir un panier vide sur la table, posez-les là.
Regina s’approcha de la table et sortit de sa bourse deux petites fioles enveloppées dans du tissu.
— Pourriez-vous également m’apporter une pincée de chacune des plantes qu’il utilise ?
— Demain matin. Quand j’irai au marché. Vous en parlerez à l’évêque, n’est-ce pas ?
— Je ferai de mon mieux, maîtresse Regina. Mais à votre tour, ferez-vous quelque chose pour moi ?
— Si je le puis, maître Isaac.
— Vous rappelez-vous la soirée qui précéda la mort de maître Narcís ?
— Oui. Je me souviens que… hésita-t-elle.
— Vous étiez à la maison ?
— Nous y étions tous. J’avais préparé le souper, des œufs aux champignons, aux oignons et aux herbes aromatiques. C’était très bon et… tout le monde se régala. Avant de souper, Lucà était à l’atelier avec papa. Quand tout fut prêt, je suis descendue les observer. Papa lui montrait comment polir soigneusement une pièce de bois, et cela a pris beaucoup de temps. Ensuite j’ai cuit les œufs – en un rien de temps – et nous nous sommes assis
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