Le Huitième Péché
chauffeur hors d’état de nuire repoussa celui-ci sur le siège du passager et s’installa au volant. L’autre homme culbuta le cardinal sur le côté avant de s’installer à sa place.
Puis la voiture fonça vers le nord tandis que les deux motards disparaissaient dans la direction opposée.
Plongé dans un univers de glace, Gonzaga reprit conscience par intermittence. Il grelottait. Il avait mal aux bras comme s’il les avait élevés mille fois en prononçant le Dominus vobiscum .
Il remarqua bien qu’il tremblait, sans toutefois comprendre pourquoi. Jusqu’au moment où il prit conscience de la situation dans laquelle il se trouvait. Oubliant les tremblements qui agitaient son corps, Philippo Gonzaga, le cardinal chauve, constata non sans inquiétude qu’il était, les mains liées, fixé à un crochet de boucher. Ses pieds touchaient à peine le sol en ciment.
Sur des crochets identiques, des carcasses de porcs coupées en deux pendaient à sa gauche et à sa droite. Cela sentait le sang coagulé. Et, avec ce froid, il pouvait voir la buée qui sortait de sa bouche comme lorsqu’on fait une promenade en hiver dans les monts Albains. Les tonnes de viande suspendue au plafond étaient éclairées par la lumière crue des néons.
Gonzaga essaya vainement de tirer sur le crochet. Cela ne servit à rien, sinon à enfoncer encore plus profondément les liens dans sa chair.
Grelottant de froid, le cardinal essaya sans grand succès de rassembler ses idées. Un ventilateur se mit en route, répandant un air froid qui accentua encore les tremblements de Gonzaga.
Il ignorait depuis combien de temps il se trouvait là. Il avait mal à la tête, ne sentait plus ses bras, un flux glacé montait le long de ses jambes comme les tentacules d’une pieuvre.
Gonzaga n’avait que deux idées en tête. D’abord, il se demandait qui se cachait derrière cette attaque. Puis il se persuadait qu’on n’allait pas le tuer. À quoi aurait servi toute cette mise en scène, si c’était seulement pour l’assassiner ?
Le cardinal entendit un crachotement provenant d’un haut-parleur fixé quelque part au plafond, puis une voix déformée d’homme.
— Gonzaga, j’espère que vous avez conscience de la situation dans laquelle vous vous trouvez. La température de votre prison est actuellement de moins quatre degrés. Dans les quatre-vingt-dix minutes à venir, elle va baisser pour atteindre moins dix-huit degrés. Je crains que vous n’ayez pas choisi le bon costume pour affronter une telle température.
— Écoutez, répondit le cardinal, et sa voix semblait résonner dans un seau vide, je ne sais ni qui vous êtes ni quelles sont vos intentions, mais je suis persuadé que vous ne voulez pas me tuer.
— Je n’en serais pas aussi sûr à votre place, répondit la voix du haut-parleur.
Gonzaga crut reconnaître cette voix qui mettait l’accent sur chaque voyelle, mais où l’avait-il déjà entendue ?
La voix poursuivit :
— Au bout de trente minutes à moins dix-huit degrés, le rythme cardiaque se ralentit, vous vous évanouissez. Vingt minutes plus tard, c’est l’arrêt cardiaque. Dans deux ou trois semaines, on transportera votre corps avec les quartiers de porcs dans une boucherie industrielle de la Citavecchia pour la suite du conditionnement. Vous feriez donc bien de réfléchir pour savoir si vous voulez vraiment jouer les héros.
— Qu’est-ce que vous voulez ? demanda Gonzaga d’une voix tremblante. Dites-le donc enfin !
— Le – suaire – de – Turin.
La voix détachait chaque mot.
— Ce ne sera pas possible.
— C’est-à-dire ?
— Le linceul de Notre-Seigneur ne se trouve plus au Vatican.
— Écoutez-moi bien, Gonzaga, nous ne sommes pas en train de négocier l’obtention d’une copie ! Je parle de l’original.
— L’original se trouve en Allemagne.
— Non, Gonzaga, non, justement !
Dans la mesure où les circonvolutions gelées de son cerveau le lui permettaient encore, le cardinal conçut l’idée que seule la confrérie des Fideles Fidei Flagrantes pouvait se cacher derrière ce rapt. Il essaya de se souvenir de la voix d’Anicet, mais en vain.
— Comment pouvez-vous en être aussi sûr ?
— Gonzaga, vous feriez mieux de ne pas poser tant de questions et de répondre aux miennes. J’ai l’impression que les années passées sous la pourpre cardinalesque vous ont fait perdre le sens des réalités. Il vous reste encore environ
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