Le Huitième Péché
échec, il secouait la tête. Il semblait désespéré de n’arriver à aucun résultat en dépit de ses tentatives répétées. Il écarta sa souris et fit pivoter son fauteuil chromé.
— Êtes-vous certain de ne pas avoir été floué ? demanda-t- il tout bas à l’adresse d’Anicet.
Le visage blême de ce dernier s’empourpra aussitôt. On eût dit qu’il allait exploser de colère. Anicet eut du mal à se calmer. Mais avant qu’il ait eu le temps de répondre, le généalogiste Jo Willenborg posait la main sur son avant-bras :
— Ne prenez pas mal la question de Murath. Notre professeur est un de ces scientifiques qui attachent plus d’importance à leurs travaux qu’à la réalité. Cet énergumène arriverait à vous convaincre qu’un lièvre s’apparente à un hérisson et vice-versa, du moment qu’il trouverait une hypothèse de biologie moléculaire lui permettant d’étayer son propos.
Dulazek, le chercheur de biologie moléculaire, rit tout haut, tandis que les autres échangeaient des regards consternés.
— La science, dit alors Dulazek sur un ton conciliant, commence à devenir intéressante à partir du moment où elle cesse d’exister pour la plupart des gens.
Et Masic, le toxicologue, qui avait la réputation d’avoir dans la tête les formules de milliers de substances susceptibles d’interrompre vos fonctions vitales, et d’être en mesure de transformer une miette de pain en un poison sournois, poursuivit :
— Là où la connaissance s’arrête commence la foi, et chacun s’accorde à dire que c’est aussi là que se situe le plus grand problème de l’humanité.
Un murmure d’approbation parcourut l’assistance. L’air absent, Anicet continuait de garder les yeux rivés sur l’écran.
Chacun des hommes présents savait pertinemment que le mutisme d’Anicet n’augurait rien de bon. Il ne tarderait pas à décharger sa bile. Tout le monde connaissait sa manière d’agir.
Parmi les Fideles Fidei Flagrantes , Anicet était le seul dont on connût le parcours. Cardinal de son état, il avait même été pressenti comme un papabile particulièrement prometteur, mais, lors de la dernière élection, on lui avait préféré un successeur ultraconservateur. Il n’avait jamais digéré cet échec et avait juré de se venger de l’Église.
Les autres frères résidant dans le château de Layenfels partageaient avec lui des destins similaires : chacun dans son domaine était une sommité, mais une sommité toujours méconnue, harcelée, déçue.
Ils avaient tous derrière eux une carrière ratée et étaient tous prêts à se venger de l’humanité en employant tous les moyens à leur disposition.
La loi stricte – et les lois qui régnaient au château de Layenfels étaient particulièrement draconiennes – obligeait tous les Flagrantes à garder le secret absolu sur leur propre passé.
On savait de Murath, surnommé le Cerveau, que, exaspéré de ne pas avoir reçu le prix Nobel, il avait brutalement mis fin à sa carrière universitaire ; il avait quitté sa femme, était parti pour une destination inconnue et avait trouvé refuge dans une confrérie.
C’est en tout cas ce que l’on pouvait lire dans la presse, où il était aussi question d’une découverte révolutionnaire dans le domaine de la recherche génétique, une découverte qui dépassait l’entendement et qui, de ce fait, avait été sciemment ignorée par le comité Nobel.
Murath et Anicet s’étaient liés d’amitié, bien qu’ils eussent des caractères aussi opposées que l’eau et le feu. Leur appétit de connaissance les avait soudés comme deux fers rouges, en dépit de leurs motivations qui étaient différentes.
Lorsqu’Anicet répondit à Murath, il paraissait étonnamment maître de lui, presque conciliant.
— Oui, je suis absolument certain qu’il s’agit bien du linceul de Jésus de Nazareth ; ce n’est pas un faux, c’est la pièce originale. Sachez qu’avant de me lancer dans ce projet, j’ai reconstitué le parcours accompli par le linceul avec tous les moyens dont je disposais. Et soyez certain, professeur, qu’en ma qualité de cardinal de la curie et de directeur des archives secrètes du Vatican, j’avais à l’époque des moyens et des possibilités que d’autres rêveraient d’avoir.
— Je n’en doute pas un instant, remarqua le chimiste Van de Beek avec une pointe d’ironie.
Van de Beek était un homme extrêmement sûr de lui,
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