Le Huitième Péché
redouté pour ses remarques acerbes.
Anicet poursuivit, sans relever la phrase de Van de Beek.
— À l’époque où la génétique moléculaire remportait ses premières victoires, dans les années cinquante et soixante, une lettre de John Tyson, professeur à Harvard, est parvenue à la curie. Elle attirait l’attention sur ses recherches – il faut ajouter qu’il avait été jusque-là un homme très croyant – susceptibles d’ébranler la doctrine chrétienne. Il y faisait allusion au linceul de Turin et esquissait un scénario catastrophe pour l’avenir de l’Église. Inutile de vous expliquer la chose plus en détail. Le pieux professeur de Harvard disait en substance qu’il serait préférable que la relique la plus importante de la chrétienté s’avérât être un faux.
— C’est plutôt absurde, déclara Willenborg, le généalogiste. Mais je crois savoir pourquoi.
— Moi aussi, renchérit Ulf Gruna, l’hématologue. La chose est très simple.
— Nous le savons tous pertinemment, l’interrompit Anicet.
Dulazek hocha la tête.
Mais Ulf Gruna, qui avait coutume de dire que le sang, c’était la vie, ne se satisfaisait pas de la réponse évasive d’Anicet. Il se tourna vers lui :
— Comment pouvez-vous être si sûr que Gonzaga ne nous a pas trompés ?
Alors, Anicet perdit tout son calme.
— J’ignore ce que vous recherchez avec vos attaques. Il me semblait jusqu’à présent que nous étions tous solidaires. Il serait peut-être bon que vous vous souveniez que Gonzaga est cardinal secrétaire d’État !
— Nous y voilà ! Justement, il a eu, de par sa fonction, toute latitude de faire fabriquer un autre faux.
Anicet eut un sourire méprisant.
— L’homme se garderait bien de nous mener en bateau. Inutile de vous dire les répercussions que cela pourrait avoir sur sa carrière. Le seul fait qu’il nous ait livré chez nous le suaire de Turin montre bien à quel point vos objections sont absurdes. De plus, je connais le suaire comme ma propre housse de couette depuis qu’il est conservé dans les archives secrètes du Vatican…
Willenborg interrompit le flot de paroles d’Anicet.
— Vous êtes d’avis que vous connaissez ce suaire comme le fond de votre poche. Vous pensez qu’il s’agit de l’original. Mais vous ne pouvez pas prouver, du moins pour le moment, qu’il s’agisse vraiment de l’original et non de la copie commandée, si je ne m’abuse, par le Vatican lui-même.
Anicet sentit tous les regards peser sur lui. Un tressaillement de ses lèvres trahissait son manque d’assurance. Il avala sa salive, mais se garda bien de répondre.
— Il est certain, reprit Murath, qu’il existe dans les entrepôts qui se trouvent sous la basilique Saint-Pierre, où sont conservées des choses totalement extravagantes comme des momies datant du début de l’ère chrétienne, des étoffes permettant à un bon faussaire d’exécuter une copie digne de foi, à l’aide de chlorure de sodium. C’est ce qui est arrivé, semble-t-il, à cet objet.
Il lança un coup d’œil agacé à l’écran sur lequel deux colonnes de codes-barres continuaient de défiler.
Anicet souffla bruyamment, leva son index qui tremblait comme une feuille morte agitée par une brise d’automne et lança au professeur :
— Je vous suggère de chercher où vous avez commis l’erreur, vous-mêmes, dans votre analyse. Vous avez à votre disposition les instruments les plus modernes et les plus coûteux, et vous n’êtes pas capables de formuler des résultats concrets. Que vous doutiez de l’authenticité de la relique, soit, mais alors, apportez les preuves de ce que vous avancez. Tant que vous n’aurez pas fourni ces preuves, nous partons du principe que le linceul apporté par le cardinal Gonzaga est bien celui dans lequel Jésus de Nazareth a été enseveli. Me suis-je bien fait comprendre ?
Murath marmonna quelque chose comme :
— Alors, il faut que nous reprenions tout depuis le début.
Puis il dit d’une voix forte et distincte :
— Vous êtes bien conscient que cela va retarder nos plans de plusieurs semaines, n’est-ce pas ?
Anicet leva les deux mains :
— Nous devrions prendre modèle sur la curie. Au Vatican, on ne compte pas en jours ou en semaines, ni même en mois. Je suis certain que, s’il existait une unité de mesure plus grande, ces messieurs ne compteraient même pas en années. Que signifient quelques semaines de plus ou de
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