Le Huitième Péché
Leonardo da Vinci est ressuscité.
Le vieillard buvait les paroles d’Anicet.
— Lorsqu’il m’arrive de temps à autre de vendre une de mes œuvres, on me prend pour un faussaire ou un copiste. Or je ne suis jamais allé au Louvre, je n’ai même pas vu de l’extérieur le musée des Offices, et encore moins le Vatican à Rome. Des copies ou des faux ! Et puis quoi, encore ! Comment ferais-je pour réaliser des faux ou des copies de mes propres œuvres ? Regardez, poursuivit Leonardo avec enthousiasme en montrant le portrait de La Madone dans la grotte , il y a déjà trois versions de ce tableau : la première se trouve à la National Gallery, à Londres, la deuxième au Louvre, à Paris, et j’ai terminé la troisième hier. Cela fait-il de moi un faussaire pour autant ?
— Certainement pas, messire Leonardo !
Le vieil homme se rapprocha encore un peu et posa sa main sur sa joue comme s’il voulait lui confier un secret :
— Pour la plupart, les gens sont idiots. Et parmi les plus idiots, il faut nommer ces cuistres que sont les universitaires et les professeurs. Ils s’imaginent être en mesure de porter un jugement sur une œuvre d’art, alors qu’ils n’ont jamais tenu un pinceau de leur vie, et encore moins un ciseau à bois. Ils considèrent que ma Mona Lisa est l’œuvre la plus importante au monde. Alors que moi, j’ai bâclé le portrait de dame Gioconda de Florence en trois jours : elle avait oublié l’anniversaire de son mari, il lui fallait un cadeau dans les plus brefs délais. L’œuvre la plus importante au monde ! Laissez-moi rire !
— Permettez-moi tout de même, maître Leonardo, de vous dire que c’est une œuvre extraordinaire.
— Oui, ce n’est pas trop mauvais. Aujourd’hui, je ferais mieux. Quoique…
— Quoique ?
— Vous savez, ces dernières années, j’ai quelque peu perdu l’envie de peindre. L’avenir n’appartient pas à l’art, mais à la science. L’architecture, la mécanique, la chimie et l’optique vont plus changer le monde que l’art n’a jamais été en mesure de le faire.
La tirade de Leonardo sur le monde de l’art et de la science permit à Anicet de réfléchir au moyen de recentrer la conversation sur le suaire de Turin sans s’attirer les foudres de cet illuminé qui avait l’intime conviction d’être la réincarnation de Leonardo da Vinci.
Et voilà qu’au grand étonnement de son interlocuteur, le vieil homme aborda lui-même le sujet :
— À présent, vous allez bien sûr me demander pourquoi je me suis prêté à la mascarade que fut la réalisation d’un faux du suaire de Turin. J’aimerais vous répondre en vous posant à mon tour une question.
Anicet ne quittait pas Leonardo des yeux. Celui-ci eut un petit sourire et finit par dire, après une pause interminable :
— Est-ce que vous cracheriez sur un demi-million d’euros ?
— Un demi-million ?
— Un demi-million ! Qui plus est tout droit sorti des caisses de l’Église ! Et puis, ce défi me fascinait : réaliser ce qui, par définition, est considéré comme impossible à faire.
— Je comprends ce que vous voulez dire par là. Il s’agissait pour vous de fabriquer une copie du linceul qui résiste aussi à l’épreuve des examens scientifiques.
— Du moins superficiellement. La copie ne devait pas, et c’était délibéré de ma part, résister à une analyse rigoureuse. C’était la consigne que j’avais reçue du cardinal Moro. J’ai mis longtemps avant de saisir, ne serait-ce que vaguement, ce qui se tramait vraiment derrière tout ça. Toujours est-il que j’ai fini par comprendre que la copie du suaire était plus importante pour ces hauts dignitaires du Vatican que l’original.
Anicet hocha la tête.
— Mais vous ignorez la raison pour laquelle Moro et la curie attachent tant d’importance à cette copie ?
— Disons que j’ai une hypothèse. Au début, je n’en avais pas la moindre idée. Je pensais que les robes pourpres avaient besoin d’une copie pour des expositions et autres manifestations, ou bien qu’ils craignaient que l’original ne fût volé, ce qui les aurait rendus vulnérables aux chantages les plus indignes. Il y a plusieurs degrés dans la foi en Jésus de Nazareth, mais il n’en demeure pas moins que, pour un milliard de personnes à travers le monde, le Christ est le fils de Dieu, ce qui confère à son linceul une valeur inestimable.
Les deux hommes se regardèrent un
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