Le Huitième Péché
long moment dans les yeux, comme si chacun voulait évaluer la confiance qu’il pouvait avoir dans l’autre. Anicet avait de gros doutes : pouvait-on prendre pour argent comptant les propos du vieillard ? Ne présentait-il pas des signes caractéristiques de schizophrénie paranoïaque, comme on en rencontre souvent chez les surdoués et les individus extrêmement intelligents ?
Quant à Leonardo, bizarrement, il avait entièrement confiance en l’inconnu qui se trouvait face à lui. Peut-être parce que ce dernier paraissait le prendre au sérieux.
Anicet se lança avec prudence :
— Ce qui m’intéresserait serait de savoir comment vous avez réussi à confectionner la copie d’un objet que les experts s’accordent unanimement à reconnaître comme impossible à reproduire. Impossible, pour la simple et unique raison que, jusqu’à présent, personne n’a été en mesure d’expliquer scientifiquement comment l’empreinte a pu apparaître sur le linceul. Je me suis moi-même longuement penché sur les publications concernant le sujet, mais aucune théorie n’est satisfaisante. Ce qui rend difficiles toutes les tentatives d’explication, c’est que Jésus de Nazareth a laissé sur le linceul une trace qui s’apparente à un cliché radiologique.
— À qui le dites-vous ! sourit Leonardo avec l’assurance de celui qui sait. Nous ne connaissons la silhouette de l’homme du linceul que depuis l’an 1898, lorsque l’objet a été photographié pour la première fois, avec un des premiers appareils photo à plaques. On a soudain découvert par le négatif réaliste la figure d’un homme doté de capacités surnaturelles.
— De capacités surnaturelles ? Messire Leonardo, expliquez- moi ce que vous entendez par là.
— Bon. Laissons de côté, si vous voulez bien, la question de savoir si le mort enseveli dans ce linceul était bien le Dieu et le Sauveur attendu depuis tant de millénaires. Selon moi, ce qui est certain, c’est que cet homme, ce dieu, ou qui qu’il fût, possédait des dons surnaturels. Je suppose qu’il émanait de lui une sorte de radiation qui est à l’origine de ces ombres visibles sur le drap.
— Une théorie hardie, messire Leonardo ! Mais vous êtes précisément connu pour votre témérité. Si je suis bien informé, vous avez déjà inventé, il y a de cela cinq siècles, le parachute et le sous-marin…
— Et les gens m’ont pris pour fou. C’est à la cour du duc de Milan que je fus le plus inventif. Mais c’est aussi à cette époque que j’ai essuyé les pires attaques de la p art de l’Église. Je n’eus pas d’autre solution que de rédiger mes écrits en écriture spéculaire, afin que le premier petit bénédictin venu ne fût pas en mesure de les retourner contre moi. Il faut que vous sachiez qu’à l’époque, les miroirs étaient des objets rares et précieux. Les moines, voués à refuser la vanité, n’étaient pas autorisés à utiliser cet instrument du diable. Jusqu’à aujourd’hui, j’ai conservé cette façon de faire ; par nostalgie mais aussi parce que je n’aime pas changer mes habitudes.
— Vous parliez d’une radiation qui aurait pu être à l’origine de cette empreinte apparue sur le suaire.
— Exact. Aujourd’hui, je suis même convaincu que c’est là la seule explication plausible. D’abord, parce que les analyses chimiques ont conclu qu’il ne s’agissait pas d’une teinture qui aurait été appliquée. On n’a retrouvé aucune trace de pigment. Ensuite, des expériences ont été conduites, qui consistaient à placer des personnes dans la même position que celle du linceul de Turin, qu’on enduisait de solutions à base de bitume avant de les recouvrir d’un linge. Le résultat parlait de lui-même : les empreintes étaient déformées et n’avaient pas la moindre ressemblance avec le modèle. Si l’on considère l’original, on a l’impression que la trace laissée par le mort sur le linceul a été comme soufflée.
— Je n’en admire que plus votre audace d’avoir osé fabriquer une copie du linceul. Vous avez éveillé ma curiosité. Ne pourriez-vous pas me livrer votre secret, ou du moins quelques éléments qui me permettraient de comprendre un peu ?
Le vieil homme secoua si violemment la tête que sa barbe, entraînée par le mouvement, remua au même rythme.
— J’ai signé un contrat qui stipule que, si je devais révéler à qui que ce soit le plus petit mot
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