Le Huitième Péché
étranglée.
— Naturellement. Vous êtes Leonardo, l’homme de génie.
Le vieillard sourit tristement en caressant sa barbe ondulée.
Son visage changea d’expression en l’espace de quelques secondes et il demanda, d’une voix sèche :
— Qui êtes-vous ? Qui vous envoie ?
— Comme je viens de le dire, j’étais membre de la curie, j’ai même fait partie des papabile avant d’être la victime d’intrigues au sein du Vatican. J’ai donc jeté du jour au lendemain mon écharpe rouge aux orties et j’ai fondé la confrérie des Fideles Fidei Flagrantes , une communauté d’hommes de génie que la vie a déçus. Chacun des membres de la confrérie est une sommité dans son domaine. Nous sommes aujourd’hui une centaine, installés au château de Layenfels.
Intrigué, Leonardo observait son interlocuteur.
— Quel est votre objectif ?
— Rendre le monde meilleur.
— Quatre mots bien prétentieux.
— Exact. Nous voulons éradiquer la bêtise de cette planète.
Leonardo se rapprocha encore, contraignant Anicet à faire un pas en arrière. L’ex-cardinal pouvait littéralement voir les pensées se bousculer dans la tête du vieillard.
— Et quel rôle joue le suaire de Notre-Seigneur Jésus là-dedans ?
— Un rôle tout à fait décisif. Mais que seul l’original peut jouer !
— Qu’est-ce que cela veut dire ?
Leonardo donnait tout à coup des signes de nervosité. Il tripotait sa barbe entre le pouce et l’index.
— Qu’entendez-vous par là ?
— À la demande de la curie, vous avez fabriqué une copie du suaire de Turin.
— Exact. Et alors ?
— La copie est malheureusement si parfaite qu’on ne peut pas la distinguer de l’original.
— À qui le dites-vous ! Mais qu’est-ce qui vous amène ici ?
— Cela même. Je dois savoir ce qui permet de distinguer la copie de l’original.
Leonardo ricana.
— Vous ne croyez tout de même pas que je vais vous le dire…
Anicet toisa le vieillard avec mépris.
— J’admire votre art, messire Leonardo. Jusqu’à présent, personne n’avait réussi à réaliser une copie parfaite du suaire. Vous êtes le premier, et vous serez sans doute le dernier.
Le vieil homme fut sensible au compliment.
— En voilà au moins un qui sait apprécier mon travail, marmonna-t-il par-devers lui.
— Êtes-vous… commença Anicet avec hésitation. Êtes-vous un autodidacte ? demanda-t-il pour entretenir la conversation.
— Autodidacte ? Leonardo eut un rire méprisant. Vous croyez sérieusement qu’on peut apprendre tout seul à faire tout cela ?
En disant cela, il désigna d’un geste ample les tableaux et les sculptures qui remplissaient l’atelier, lequel occupait tout le premier étage.
Anicet jeta un regard rapide autour de lui. Il avait l’impression d’être écrasé par les poutres massives du plafond. Il put distinguer dans la pénombre le portrait inachevé de saint Jérôme qui se trouve dans les musées du Vatican, L’Adoration des rois , œuvre également inachevée, qu’on retrouve au musée des Offices à Florence, La Madone dans la grotte , exposée à la National Gallery de Londres, et Le Portrait d’un musicien , qui se trouve à l’Ambrosiana de Milan.
Il y avait aussi des terres cuites de différentes sculptures et des plans, ainsi que des croquis d’appareils optiques et mécaniques. Au milieu de tout cela, des douzaines de feuilles en écriture spéculaire, le tout formant un fatras inextricable.
— Non, poursuivit Leonardo, j’ai eu un maître. Le grand Andrea del Verrochio.
Puis il ajouta, comme s’il avait surpris le regard sceptique d’Anicet :
— Vous me croyez, n’est-ce pas ?
— Pourquoi devrais-je douter de ce que vous me dites, messire Leonardo ? répondit Anicet, sans savoir que ce mensonge lui vaudrait la confiance de Leonardo.
— Les gens d’ici pensent que je suis un vieux fou, poursuivit le vieillard en faisant une grimace, comme si cette idée lui faisait mal. Ils ne veulent pas admettre que je suis Leonardo, originaire du village de Vinci près d’Empoli, celui-là même qui ferma les yeux le 2 mai de l’an 1519 au château du Cloux près d’Amboise et qui fut inhumé en l’église de Saint-Florentin. Vous croyez à la réincarnation, n’est-ce pas ?
— Je ne suis ni orphique ni pythagoricien, mais lorsque je considère vos œuvres, il me prend l’envie de réviser mes idées sur la métempsychose. Il me semble que
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