Le Huitième Péché
C’est un fait avéré.
— Mouais… Cela n’exclut pas pour autant que les autres messieurs n’aient été des membres de la soi-disant noble société. Comprenez-moi bien : je ne veux pas insinuer que la signora ait trempé dans des affaires mafieuses. Je veux seulement dire qu’il ne faut pas exclure d’avance cette possibilité.
— Et cela signifie ? s’enquit Malberg, désemparé.
Barbieri haussa les épaules.
— Nous devrions coopérer et coucher sur le papier toutes les informations que vous avez jusqu’à présent trouvées sur cette affaire. Je suis sûr que, pour l’instant, vous avez encore tout en mémoire : les personnes, les lieux, les témoignages et les recherches. Mais le cerveau humain n’est pas un ordinateur et, sauf votre respect, je doute que vous vous souveniez de tout. Mon expérience à la criminelle m’a appris que c’est souvent dans les détails que l’on trouve la solution. Dans des détails que le cerveau humain a depuis longtemps jugés assez inutiles pour être oubliés.
Malberg hocha la tête, il était d’accord avec ce que disait Barbieri.
— Ce qui ne facilite pas les choses, c’est je n’arrive pas à discerner la moindre logique dans l’ensemble des événements.
29
A veuglée par la blancheur du soleil, la marquise Falconieri clignait des yeux, l’air désabusé. Elle se trouvait devant la porte de la prison de femmes et avait troqué son triste uniforme pour ses propres vêtements. Son tailleur de lin semblait bien trop grand pour elle, sa jupe était froissée comme un tablier de paysanne des Pouilles, et ses cheveux étaient tirés en arrière. Le charme qui émanait jadis de son visage avait fait place à une expression amère.
Sur les conseils de l’avocat commis d’office, Lorenza Falconieri avait fait des aveux complets : elle était au courant des escroqueries de son mari et, après la mort de celui-ci, elle avait tenté d’écouler la précieuse marchandise qu’il recelait.
Dans un deuxième temps, son avocat avait réussi à convaincre le juge d’application des peines que sa cliente ne prendrait pas la fuite.
Le tribunal l’avait libérée, avec pour seule obligation de se présenter une fois par semaine au commissariat de police le plus proche.
Et la voilà, avec un sac à la main contenant ses effets personnels, en train d’attendre le taxi que la direction de la prison lui avait commandé. La marquise était mal à l’aise, elle n’avait pas le sentiment d’être libre. Elle continuait de se sentir prisonnière, prisonnière de son passé douteux. Et, bien qu’elle fût – du moins provisoirement – en liberté, elle avait l’impression de voir encore le monde qui l’entourait à travers les barreaux de sa cellule.
Lorsque le taxi arriva enfin, le chauffeur affichait un sourire narquois. Lorenza Falconieri fit comme si de rien n’était et lui indiqua sa destination : Via dei Coronari. Aucun chauffeur de taxi romain ne connaissait la petite rue dans laquelle elle habitait.
Le premier kilomètre se fit en silence. La marquise regrettait d’avoir pris place à la droite du chauffeur, car il n’arrêtait pas de la dévisager.
— Vous feriez mieux de vous concentrer sur la circulation, lui conseilla-t-elle.
— Certainement, signora , répondit l’homme avec une politesse exagérée.
Et il osa poser la question, en lui souriant avec un air de défi :
— Combien de temps ?
— Qu’est-ce que vous entendez par là ?
Le chauffeur montra derrière lui avec le pouce de sa main droite :
— Je veux dire, combien de temps êtes-vous restée à Santa Maddalena ?
— Cela ne vous regarde pas ! Pourquoi voulez-vous le savoir ?
Le chauffeur haussa les épaules.
— Bah, comme ça ! Une fois, j’ai eu une cliente, la quarantaine, agréable à regarder, elle venait aussi de sortir de Santa Maddalena. Quand je lui ai demandé où elle voulait aller, elle m’a répondu : « N’importe où, après quinze ans derrière ces murs. » Quinze ans, vous vous rendez compte ! Elle a dépensé dans la course presque tout l’argent qu’elle avait gagné en tôle. Avant qu’elle ne descende du taxi, c’était déjà le soir, je n’ai pu m’empêcher de lui demander pour quelle raison elle était restée si longtemps en prison. Vous savez pourquoi, signora ? Elle avait tué sa rivale d’un coup de revolver. Et elle disait qu’elle serait prête à le refaire. J’étais bien content de la
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