Le Huitième Péché
Dix-huit heures. Je vous remercie, signora .
Mesomedes attendait déjà lorsque Caterina entra dans le petit café ; elle venait directement du siège de son journal. L’homme était jeune, très jeune même, pour ce poste de procureur.
Il avait l’allure et la tenue adaptées à la fonction : coupe de cheveux stricte, costume croisé gris et chaussures à lacets parfaitement cirées.
Pas forcément ma tasse de thé, pensa Caterina. Mais on ne lui demandait pas non plus de l’épouser.
— Je vais être franc avec vous, commença Mesomedes après qu’ils eurent pris place dans le fond du café. J’agis de ma propre initiative. En effet, comme vous l’avez dit très justement, l’affaire Marlène Ammer est officiellement classée. Mais, en tant que jeune magistrat, on ne peut faire carrière que si l’on arrive à faire quelques coups d’éclat. Or, je me suis mis dans la tête de faire carrière. Et comme cela est particulièrement difficile si l’on suit la voie hiérarchique, je me suis dit que j’allais reprendre depuis le début des affaires à sensation déjà classées. Le cas Marlène Ammer en fait partie, ça me paraît une évidence.
— Ah, bon ! s’étonna Caterina.
La franchise du jeune procureur le rendait presque sympathique. Elle était prête à l’aider, d’autant qu’il ne lui était pas antipathique. Et puis, dans cette affaire, Caterina avait quelques atouts en main.
— Et que puis-je faire pour vous ? finit-elle par demander.
Mesomedes ouvrit sa vieille mallette noire qu’il tenait coincée entre ses jambes sous la table et commença à chercher fébrilement quelque chose dans une pile de feuilles.
— Lorsqu’on lit votre reportage dans le Guardiano , on a l’impression que vous en savez beaucoup plus long sur l’affaire Ammer que ce que vous avez relaté dans votre article, déclara-t-il lorsqu’il eut enfin trouvé ce qu’il cherchait.
— Votre impression ne vous trompe pas, répondit Caterina, sur la réserve.
— Il y a là une piste qui, en admettant que je puisse la vérifier, va dans une tout autre direction. Inutile de nous jouer mutuellement la comédie : nous ne croyons ni l’un ni l’autre que Marlène Ammer s’est noyée dans sa baignoire. Quant à l’hypothèse que Malberg ait assassiné la signora , elle relève plus de la supposition qu’elle ne se fonde sur la disparition de Malberg peu de temps après la mort de Marlène Ammer. N’importe quel avocat à peu près compétent serait capable de faire lever le mandat d’arrêt. Les preuves apportées à ce jour sont insuffisantes.
— Alors pourquoi ne levez-vous pas tout simplement ce mandat d’arrêt ? Malberg n’aurait plus rien à craindre et il pourrait peut-être même contribuer à éclaircir cette affaire.
Mesomedes prit une profonde inspiration.
— Vous savez, signora , notre justice est une vieille dame poussive, empotée et prétentieuse. Elle aime qu’on la prie ou qu’on lui demande des faveurs. Lancer un mandat d’arrêt est assez simple, le lever est une procédure bien plus compliquée.
— Mais vous avez dit que vous croyiez en la justice !
— L’homme juste souffre le martyr. Ceci a déjà été dit dans les Psaumes. Mais revenons à nos moutons !
Mesomedes étala plusieurs feuillets sur la table.
— C’est une copie du rapport d’autopsie de Marlène Ammer. Vous savez à quelle conclusion le médecin légiste, Martino Weber, est arrivé ? Marlène Ammer est morte noyée dans sa baignoire. Il faut dire que cela arrive assez fréquemment, surtout dans les cas où il y a eu absorption d’alcool. Mais il n’est nullement question d’ébriété dans le rapport de l’institut médicolégal. En revanche, on y trouve signalés des hématomes au niveau des épaules et de la poitrine. On pourrait donc penser que la signora a été maintenue sous l’eau et qu’elle s’est débattue. Mais j’ai trouvé un autre indice plus intéressant. On a découvert des traces de parfum sur le peignoir de la signora . Oliban, opoponax, benjoin, baume d’aloès et écorce de cannelle.
— De l’écorce de cannelle, voyez-vous ça, répéta Caterina avec une pointe de cynisme dans la voix.
Le jeune procureur ne se laissa pas distraire.
— Je ne connaissais pas non plus ces essences, signora . Je me suis renseigné auprès de l’institut de chimie criminologique. Le résultat va vous étonner : l’oliban, le benjoin, l’opoponax, le baume
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