Le Huitième Péché
présent, ma vie est plus le résultat d’opportunités manquées que la conséquence de la rigidité de mes principes.
— Et c’est là que cette Marlène Ammer intervient dans votre vie… Vous en étiez très amoureux, n’est-ce pas ?
— Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
— L’expérience professionnelle, répondit froidement Barbieri.
Malberg eut un sourire embarrassé.
— J’avoue que, lorsque nous nous sommes revus, Marlène a déclenché chez moi des sentiments plutôt forts. Si je suis venu à Rome, ce n’était pas uniquement pour voir cette collection de livres. Pouvez-vous imaginer ce que j’ai ressenti en découvrant Marlène morte dans sa baignoire ?
Barbieri hocha la tête en silence.
La pièce que Barbieri proposa à Malberg n’était qu’un réduit flanqué d’une petite fenêtre tout en hauteur qui s’ouvrait néanmoins sur de la verdure. Il y régnait une fraîcheur agréable. Une simple banquette et une armoire en contre-plaqué datant des années soixante suffiraient, dans un premier temps, pour le dépanner. Et, bien que cet appartement modeste fût tout sauf confortable, Malberg s’y sentait bien.
Le spectacle qu’offraient Barbieri et Malberg en train de faire la vaisselle prêtait à rire. Tandis que Malberg essuyait une assiette avec un torchon, consciencieusement, comme s’il avait l’intention de gagner le concours de la meilleure ménagère, il demanda tout à coup :
— Vous avez lu le rapport d’autopsie de Marlène Ammer. Quelle impression en avez-vous retirée ?
— Pour être franc… commença Barbieri.
— Je vous le demande !
— Eh bien, depuis le début de cette affaire je soupçonne l’existence de deux rapports d’autopsie, chacun présentant un contenu différent. Le vrai, et un rapport maquillé. Ce genre de chose n’est bien sûr possible qu’à grand renfort de dessous de table.
— Vous avez déjà eu affaire à des cas semblables dans votre carrière ? demanda Malberg en scrutant le visage de son interlocuteur.
— Pas souvent, répondit Barbieri. Mais je me souviens de deux cas…
— Et comment cela s’est-il passé ?
L’ex-policier hésita et détourna les yeux. Il semblait ne pas être disposé à répondre. Il finit par se racler bruyamment la gorge.
— Dans les deux cas, la mafia était de la partie.
— La mafia ?
— Vous pouvez vous imaginer le fin mot de l’histoire !
— Non, dites-le-moi.
— Le procureur, qui avait dénoncé l’autopsie sujette à caution, a été relevé de ses fonctions. Il a disparu quelque part dans le Piémont. On n’a jamais plus entendu parler de lui.
— Mais vous ne croyez tout de même pas sérieusement que la mafia ait quelque chose à voir avec la mort de Marlène Ammer !
— Ce qui vous dérange, c’est que l’on peut faire aussi certains recoupements avec la curie. Ne vous laissez pas induire en erreur. Ceux qui tirent les ficelles dans la mafia savent aussi à la perfection arranger des mises en scène où se côtoient des éléments qui n’ont apparemment aucun lien entre eux. Je me souviens du cas d’un médecin biologiste réputé. Il dirigeait à Ostie un laboratoire dans lequel on pratiquait des tests sur des sportifs pour dépister le dopage. Personne n’aurait jamais osé accuser de magouille ce scientifique renommé. Mais le professeur avait une passion secrète : la roulette. Et cette passion l’avait entraîné à contracter d’immenses dettes. Un jour, un inconnu lui proposa d’effacer l’ardoise, à la seule condition qu’il échange certains échantillons d’urine de chevaux après les courses. Des années durant, tout se déroula pour le mieux, sans que personne n’ait vent de quoi que ce fût. Même pas lorsque des canassons poussifs se mirent à gagner des courses. Toute l’affaire ne fut découverte que lorsque la femme du professeur dénonça son mari par vengeance. Il l’avait trompée avec une femme plus jeune.
Malberg secoua la tête. Son passé lui avait appris que la vie est une suite d’histoires invraisemblables. Mais l’éventualité que Marlène fût en relation avec la mafia lui paraissait tout de même absurde.
— Caterina m’a raconté que, lors des obsèques de la signora Ammer, vous aviez observé un groupe de messieurs distingués, tous habillés de noir, poursuivit Barbieri.
— L’un d’eux, celui à la calvitie, était le cardinal secrétaire d’État Gonzaga, précisa Malberg.
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