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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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s’éloignait
déjà sous les oliviers noyés dans l’ombre.
    Franchot les aida à enfiler leurs bottes. Frédéric attacha
les dix-huit boutons de chaque côté de l’étroit pantalon qui le serrait
jusqu’aux chevilles, puis, après avoir quitté son gilet, passa le dolman sur
une chemise propre, en attachant méticuleusement les autres dix-huit boutons du
plastron aux brandebourgs torsadés d’or. Il décrocha la buffleterie du mât de
la tente et l’ajusta à l’épaule droite et à la taille, en faisant tinter
l’extrémité du fourreau du sabre contre ses éperons. Il boutonna le col et les
poignets, se frotta les mains et le visage d’eau de senteur, enfila les gants
de chevreau et prit sous le bras l’impressionnant colback, bonnet à poil
d’ours, privilège des officiers dans les unités d’élite. Bourmont, qui avait
exécuté exactement les mêmes mouvements dans un ordre identique, attendait en
tenant la toile de la tente relevée.
    — Après toi, Frédéric, lui dit-il, et ses yeux
lancèrent un éclair de satisfaction à l’aspect de son camarade.
    — Après toi, Michel.
    Il y eut deux claquements de talons, deux sourires et un
serrement de mains. Ils sortirent au grand air, très droits, impeccables et
rasés de frais, en faisant résonner leurs sabres contre leurs éperons, se
sentant jeunes et beaux dans leur superbe uniforme, respirant avec délice l’air
vif de l’aube, prêts à affronter à la pointe de leur sabre le filet que la Mort
leur lançait depuis l’horizon encore plongé dans les ténèbres.
     
    *
     
    Le commandant Berret était penché sur une table couverte de
cartes, entouré des huit officiers de l’escadron. De son œil unique – il
avait perdu le gauche à Austerlitz et portait à la place un bandeau noir qui
lui donnait une singulière expression de férocité –, il suivait
attentivement les reliefs du terrain indiqués sur les cartes. Ni lui ni le
capitaine Dembrowsky n’avaient dormi de la nuit. Ils venaient d’arriver d’une
réunion convoquée trois heures plus tôt par le colonel Letac, où avaient été données
les instructions pour la journée qui commençait. Berret était pressé.
    — Les Espagnols se sont concentrés ici et ici. –
Il parlait sur son ton habituel, sec et tranchant, sans regarder personne,
l’œil unique ne quittant pas les cartes comme si, sur celles-ci, se tenait, en
miniature, l’armée ennemie.
    — Les unités d’éclaireurs ont déjà établi le contact,
et le gros des opérations se déroulera probablement dans cette vallée, nos
lignes s’appuyant aux collines que je vous indique en ce moment. Le régiment
opérera sur le flanc gauche de la division, en effectuant ses habituelles
missions de reconnaissance et de protection. Et, le moment venu, également
d’attaque. Un escadron au moins restera en réserve ; mais cela,
heureusement, n’est pas notre cas. Il est possible que nous ayons à nous
employer à fond en première ligne.
    Pour le 1 er  escadron du 4 e  hussards,
s’employer à fond en première ligne impliquait l’éventualité d’une charge. À la
lueur de la lampe à pétrole accrochée au mât de la tente, Frédéric put voir l’expression
satisfaite de ses camarades. Seul le capitaine Dembrowsky, légèrement penché
sur la table à côté de Berret, gardait son impassibilité glacée. L’épaisse
moustache couleur paille et les nattes prématurément grises donnaient au
commandant en second de l’escadron l’aspect d’un vétéran éprouvé, et c’était
bien ce qu’il était. Polonais d’origine, il s’était battu sous le drapeau
français sur les champs de bataille de toute l’Europe ; c’était peut-être
là qu’il avait acquis cet air de froideur désabusée qui le caractérisait. Nul
ne l’avait jamais entendu prononcer un mot plus haut que l’autre, même quand il
donnait des ordres. C’était un personnage silencieux et hautain qui fuyait la
compagnie de ses camarades, qu’ils soient ses supérieurs ou ses égaux. Mais
c’était aussi un soldat courageux, un excellent cavalier et un officier
expérimenté. Et s’il n’était pas aimé, du moins était-il respecté pour cela.
    — Des questions ? s’enquit Berret, sans lever son
œil de cyclope de la table, comme absorbé dans la contemplation de quelque
chose qu’il était seul à connaître.
    Philippo, un lieutenant brun de peau, joyeux et hâbleur,
toussota avant de parler.
    — Connaît-on le

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