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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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fiers
qui s’étaient laissé brûler sur les bûchers des rois européens désireux de
s’emparer de leurs richesses, et qui mouraient sans rien perdre de leur dignité
en maudissant leurs bourreaux. Le monde des templiers était un monde d’hommes,
dont, par définition, les femmes étaient exclues. L’honneur, Dieu et le combat
étaient leurs seuls aiguillons. Ils vivaient et se battaient par paires,
compagnons fidèles unis face à tout et à tous par des serments sacrés et
inviolables.
    Frédéric regarda de nouveau Bourmont, tout à la tâche,
maintenant, d’assujettir sa capote, roulée à l’avant de la selle. Il se sentait
soudé à son ami par quelque chose de plus puissant que les liens de camaraderie
qui peuvent s’instaurer entre deux jeunes sous-lieutenants d’un même escadron.
Tous deux avaient en commun un serment irrévocable : la soif de gloire.
C’était elle qu’ils servaient, pour la France et pour l’Empereur, c’était en
son nom qu’ils chevaucheraient derrière l’aigle jusqu’aux portes de l’enfer
s’il le fallait. Sur ce chemin, ils étaient devenus frères et jamais, quel que
soit le nombre des années qui s’écouleraient ensuite, même si la vie les
séparait en les envoyant dans des lieux éloignés, ils n’oublieraient ces
heures, ces jours et ces ans dont le Destin avait décidé qu’ils les passeraient
côte à côte. Dans l’esprit de Frédéric défilèrent des images d’une beauté
épique : Bourmont, son cheval tué, la tête nue au milieu du champ de
bataille, souriant à son ami qui descendait de cheval pour lui céder sa monture
et affrontait, le sabre à la main, la mort que l’Hadès réservait à son
camarade. Frédéric lui-même, tombé à terre et protégé par un Michel de Bourmont
qui écartait à grands coups de sabre les ennemis qui tentaient de faire
prisonnier son camarade blessé… Ou tous deux, couverts de boue et de sang,
défendant une des vieilles aigles, se regardant et se souriant pour un adieu
muet avant de se jeter dans les bras de la Mort qui les entourait de son cercle
fatal.
    Non. Nul besoin ici d’une présence féminine. Ou alors, peut-être,
certains beaux yeux qui seraient les témoins lointains du drame héroïque,
quand, voilés par les tendres larmes de leur jolie propriétaire, celle-ci, mise
au courant des événements, apprendrait la mort du hussard… En fait, Frédéric
connaissait déjà ces yeux-là. Il les avait vus à Strasbourg, deux jours avant
son départ, lors de la réception chez les Zimmerman. Une robe bleue, un visage
à l’ovale parfait encadré de cheveux blonds et doux comme de la soie, des yeux
bleus comme le ciel d’Espagne, une peau blanche d’à peine seize ans. Claire, la
fille des Zimmerman, avait souri gracieusement au beau hussard en uniforme de
parade qui s’inclinait devant elle d’un air martial, joignant les talons de ses
bottes lustrées, balançant élégamment la pelisse écarlate accrochée à son
épaule gauche avec une désinvolture étudiée.
    La conversation avait été brève et tendre des deux côtés.
Lui, priant Dieu qu’elle attribue à la chaleur la violente rougeur qui lui
montait irrésistiblement aux joues. Elle, non moins rougissante, savourant le
plaisir d’attirer l’attention d’un officier de cavalerie de si belle prestance
dans son uniforme bleu et sa pelisse rouge, juste un peu déçue qu’il soit trop
jeune pour porter une belle moustache qui eût accentué son allure virile. De toute
manière, il partait pour une guerre lointaine, dans un pays méridional et
chaud, et c’était amplement suffisant. Ensuite, quand Frédéric avait dû
s’éloigner, appelé par un vieux colonel ami de la famille, Claire avait baissé
les yeux, jouant de son éventail pour dissimuler son trouble tandis qu’elle
sentait rivés sur elle les regards envieux de ses cousines.
    Rien de plus. Dix minutes de conversation et un souvenir
délicat qui, un jour, quand il rentrerait – avec, qui sait, une cicatrice
glorieuse qui remplacerait la rougeur de ses joues –, pourrait être le
début d’une belle histoire d’amour. Mais cette nuit, sous un ciel espagnol qui
n’était pas bleu comme les yeux de Claire mais menaçant et noir comme la porte
de l’enfer, pour Frédéric Glüntz, Strasbourg et le salon des Zimmerman étaient
bien loin.
    Un escadron de cavalerie, appartenant sans doute au même
régiment, passait maintenant de l’autre côté du mur en suivant le

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