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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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pipes et de cigares,
son impertinence était injustifiable. Tous les présents, y compris Frédéric,
tournèrent les yeux vers Michel de Bourmont, et celui-ci considéra qu’il était
de son devoir de se sentir visé. Son sourire caractéristique de loup lui tordit
la bouche, mais le regard qu’il adressa à l’imprudent, froid comme un glaçon,
établissait en toute clarté qu’il n’y mettait pas la moindre trace d’humour.
    « Lieutenant Fucken ! annonça-t-il avec la plus
grande sérénité, dans le silence attentif qui s’était établi autour de la
table. Je présume que ce commentaire déplacé est une allusion à certaine classe
que je m’honore de représenter… Me suis-je trompé ? »
    Fucken, un Lorrain aux cheveux frisés et aux yeux noirs dont
l’apparence rappelait vaguement Murat, se troubla, mal à l’aise. Il était
conscient de sa bévue, mais plusieurs officiers assistaient à la scène. Il lui
était donc impossible de se rétracter.
    « Libre à vous de vous sentir visé », répondit-il
en pointant le menton.
    Tous les témoins se dévisagèrent d’un air entendu,
comprenant que la suite était inévitable. Il ne restait plus qu’à observer
scrupuleusement le rituel qui, à n’en pas douter, ne saurait tarder à se
dérouler. Les figures étaient graves et intéressées, chacun se montrant
soucieux de ne pas perdre un seul détail de la conversation. Il s’agissait de
retenir les mots et les gestes qui, quand tout serait terminé, permettraient de
narrer l’événement aux camarades des diverses unités.
    Frédéric, qui se voyait confronté à une telle situation pour
la première fois, était surpris et gêné car, même novice en ce genre
d’affaires, il n’en comprenait pas moins la signification dramatique et ses
conséquences. Il regarda son ami Bourmont poser son verre sur la table avec une
lenteur délibérée. Un capitaine, l’officier le plus âgé de l’assistance,
murmura sans conviction un « allons, messieurs, gardons notre sang-froid »,
pour tenter d’apaiser les esprits, mais personne ne lui fit écho ni ne lui
accorda la moindre attention. Le capitaine haussa les épaules ; cela
faisait également partie du rituel.
    Bourmont tira un mouchoir de la manche de son dolman,
s’essuya soigneusement les lèvres et se leva.
    « Ce genre d’allusions fâcheuses doit être débattu un
sabre à la main, dit-il avec le même sourire glacial. En dépit de la différence
de grade, j’ose espérer, pour l’honneur de l’uniforme que nous portons tous les
deux, que vous êtes prêt à me donner la satisfaction de discuter de ce sujet
avec moi. »
    Fucken resta assis, regardant fixement son interlocuteur. En
constatant qu’il ne répondait pas, Bourmont posa doucement une main sur la
table.
    « Je sais, poursuivit-il sur le même ton, que les
usages en ce genre d’affaires sont défavorables à ce que deux officiers de
grade différent débattent les armes à la main de questions privées… Mais comme
ma nomination de lieutenant est déjà approuvée et qu’elle sera chose faite
d’ici peu, j’estime qu’en l’occurrence l’aspect formel de l’affaire est
respecté. Certes, nous pourrions attendre que ma promotion soit devenue
effective ; mais voyez-vous, lieutenant Fucken, nos régiments vont partir
d’ici peu en campagne, et je serais extrêmement fâché si quelqu’un d’autre
venait à vous tuer avant moi. »
    Les derniers mots prononcés par Bourmont ne pouvaient être
pris à la légère, et l’assistance admirative et silencieuse les trouva fort à
propos ; ils ne laissaient à Fucken, homme d’honneur et officier, d’autre
issue que de se battre.
    Fucken se leva.
    « Quand vous voudrez, répondit-il fermement.
    — Sur-le-champ, si cela vous convient. »
    Frédéric laissa s’échapper l’air qu’il avait retenu dans ses
poumons et se leva avec les autres, abasourdi. Bourmont s’était tourné vers lui
et le dévisageait avec une gravité qui n’était pas dans leurs habitudes.
    « Sous-lieutenant Glüntz, me ferez-vous l’amabilité de
me servir de témoin ? »
    Frédéric bafouilla en hâte une réponse affirmative, en se
sentant rougir. Bourmont choisit pour second témoin un autre hussard,
lieutenant au 2 e  escadron. De son côté, Fucken désigna un
capitaine plus âgé et un lieutenant de son régiment. Les quatre hommes –
il serait plus exact de dire les trois hommes avec l’assentiment muet de

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