Le Japon
politique à partir de la fin du XII e siècle, le seppuku s’imposa peu à peu comme une mort volontaire digne de leur condition. Toutefois, le seppuku n’était pas la seule manière dont usaient les bushi du Moyen Âge pour en finir avec l’existence, en particulier au début de la période : les derniers membres du clan Taira, vaincus par les Minamoto en 1185 lors de la bataille navale de Dannoura, scellèrent leur destin en se jetant à l’eau.
Le suicide par éventrement pouvait avoir pour but de prouver la fidélité d’un vassal envers son seigneur, un don ultime de sa personne, par exemple lorsqu’il s’estimait injustement mis en cause. Il était également parfois une forme de protestation ou encore l’expression d’une déception, voire un avertissement pour inciter un individu à corriger son comportement : un officier d’Oda Nobunaga, Hirate Masahide, outré par la frivolité de son jeune seigneur, s’ouvrit le ventre pour l’adjurer de faire montre d’un peu plus de sérieux. C’est sans doute dans cet esprit protestataire que l’écrivain Mishima Yukio conçut son spectaculaire, mais anachronique, seppuku en 1970, qui par ailleurs offrait un bouquet final digne de son tempérament exhibitionniste.
Au Moyen Âge cependant, la forme ritualisée du seppuku n’était pas encore totalement fixée. On se suicidait le plus souvent dans l’urgence, après une défaite ou pour éviter une capture : on relate ainsi des éventrements pratiqués en chevauchant une monture.
Durant les guerres civiles du XVI e siècle, les comportements semblent s’être progressivement modifiés. Les châtelains dont la forteresse était sur le point de tomber se mirent de plus en plus à cette époque à se suicider par seppuku, signe que cette mort apparaissait désormais comme le dernier acte honorable possible pour un guerrier vaincu. Cela explique peut-être le geste de Hashiba (plus tard Toyotomi) Hideyoshi, qui accepta en 1582 que le chef de la garnison du château de Takamatsu, Shimizu Muneharu, mette fin à ses jours en échange de la promesse d’épargner ses hommes. Cette décision qui accentuait encore la dimension sacrificielle, et donc admirable, du seppuku, le faisait en même temps glisser vers une forme d’exécution d’une sentence de mort par laquelle on épargnait au condamné l’opprobre d’une exécution ignominieuse, et même on lui rendait une forme d’hommage, en lui concédant formellement l’apparence d’une fin choisie.
Le guerrier vaincu qui se suicidait échappait ainsi à une mort dégradante (la décapitation dans le meilleur des cas, comme un vulgaire criminel), voire aux supplices – pratiques fréquentes au Moyen Âge, en particulier contre des vassaux félons. Le suicide de Shimizu Muneharu évoque aussi un aspect qui se développera à l’époque d’Edo : sa mort consentie permettait de sortir, avec la disparition de sa seule personne, d’une situation embarrassante, en l’occurrence la guerre avec le clan Môri que Hideyoshi souhaitait conclure au plus tôt.
La réunification et la pacification du Japon à la fin du XVI e et au début du XVII e siècle sous l’autorité de Toyotomi Hideyoshi, puis des shoguns Tokugawa basés à Edo (actuel Tokyo), firent progressivement perdre au bushi toute possibilité d’illustrer ses vertus sur des champs de bataille. C’est dans ce contexte que le suicide par seppuku fut considéré comme la « mort guerrière » par excellence, puisque celle-ci ne pouvait plus qu’exceptionnellement se rencontrer au combat. Mais comme la plupart des samouraïs n’avaient aucune raison de mettre fin à leurs jours, le suicide ritualisé devint le mode d’exécution de la peine capitale propre à la condition guerrière.
La décapitation ou les supplices comme la crucifixion, formes d’exécution courantes des sentences judiciaires, étaient par là même indignes de la condition guerrière. Qu’un samouraï soit exécuté comme un vulgaire homme du peuple était dès lors une marque d’infamie stigmatisant l’horreur du crime qui le rendait indigne de son rang – ce pouvait être le cas, par exemple, pour le parricide. Des extrémistes xénophobes mécontents de l’ouverture des ports aux Occidentaux, qui assassinèrent le grand doyen shogunal Ii Naosuke en 1860, bien qu’issus des rangs des guerriers, furent ainsi décapités comme descriminels (une partie de l’escorte d’Ii Naosuke aussi d’ailleurs,
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