Le Japon
, on lui accordait la permission de se suicider. Un Coréen retenu comme captif au Japon dans les dernières années du XVI e siècle, Kang Hang, s’étonnait de l’admiration que la société manifestait envers ces guerriers que la certitude de la mort ne détournait pas de vider leurs querelles par les armes.
Par sa mort « volontaire », le condamné semblait formellement reconnaître et endosser la responsabilité des graves manquements dont on l’accusait. Aussi, le suicide d’un vassal suffisait en général à clore l’affaire dans laquelle il était impliqué. Ce pouvait donc être un moyen commode d’étouffer un scandale, qu’il s’agisse de politique ou de prétendues fautes commises dans l’exécution d’une mission. Ce désir d’en finir vite avec une situation embarrassante se devine dans le règlement de l’incident de Sakai en 1868, alors que leJapon s’ouvrait à l’étranger : à la suite du meurtre de onze marins français, vingt guerriers du fief de Tosa furent désignés pour s’ouvrir le ventre devant le commandant de la frégate Dupleix , Dupetit-Thouars, pour donner satisfaction aux Français qui avaient exigé réparation.
Le suicide de boucs émissaires permettait également d’empêcher la mise en cause d’autres personnages de rang plus élevé. Il était en particulier admis qu’un daimyo, en tant que souverain, ne pouvait jamais être tenu de payer les erreurs de son gouvernement autrement que par son abdication, quel que soit son degré d’implication : lorsque la situation l’exigeait, il fallait alors qu’un vassal soit sacrifié pour sauvegarder la réputation de la maison de son seigneur.
Le seppuku fit aussi l’objet à l’époque d’Edo d’une codification, avec tout un cérémonial destiné en apparence à en magnifier la gravité – en réalité à mieux contrôler les comportements guerriers. C’est à ce moment qu’apparaît sa forme canonique avec l’incision latérale du ventre ou en croix, vêtements bleu clair et blancs pour le condamné, espace du suicide composé de tatamis précisément disposés et entourés d’une tenture blanche, assistants et spectateurs, etc. Le fait que la mort volontaire fasse figure de symbole ultime des vertus des bushi devait exercer une influence profonde sur les représentations les concernant. Des penseurs du début du XVIII e siècle issus du milieu des samouraïs comme Yamamoto Tsunetomo, auteur du célèbre Hagakure , mais aussi Daidôji Yûzan, dans son Recueil pour débuter dans la Voie du guerrier , faisaient de l’acceptation de la mort l’essence même de la « voie du guerrier » (bushido) , c’est-à-dire l’ensemble des valeurs devantrégler le comportement d’un vassal pour qu’il ne déroge pas à sa condition et à ses missions.
Ces notions de « devoirs » (giri) du guerrier étaient étroitement liées à l’idée que celui-ci se faisait de l’opinion qu’aurait de lui le reste de la société : les samouraïs de la période d’Edo intériorisaient, avec le sentiment d’« honneur », une forte pression sociale et politique. L’aménagement de la rivière Kiso, qui avait nécessité plus de temps et d’argent que prévu, entraîna ainsi la mort de 51 guerriers du fief de Satsuma en charge de l’opération qui se suicidèrent les uns après les autres entre 1754 et 1755, lorsqu’ils s’étaient attiré des remarques de la part des inspecteurs du chantier.
L’idéalisation et l’esthétisation de la belle mort du samouraï par éventration n’allèrent pas cependant sans provoquer des perturbations dans l’ordre social, et au sein même de la condition guerrière, comme en témoigne la vogue morbide du junshi (ou oibara ) dans la première moitié du XVII e siècle, coutume consistant, pour un vassal, à s’ouvrir le ventre après la mort de son seigneur. Estimer que la plus grande preuve qu’un vassal pouvait donner de sa fidélité et de sa gratitude envers son maître était de suivre le daimyo dans le trépas, même si ce dernier était mort de cause naturelle, exprimait certainement un malaise chez des guerriers qui cherchaient leur place dans une société pacifiée. Le junshi se développa en des formes collectives qui aboutirent à de telles hécatombes que le shogunat finit par strictement l’interdire en 1665.
Bien entendu, même après l’interdiction au junshi , tous les seppuku de l’époque d’Edo n’étaient pas des exécutions
Weitere Kostenlose Bücher