Le Japon
violences
L’Histoire : Peut-on dire que la Seconde Guerre mondiale a commencé en Asie en 1937, avec la guerre sino-japonaise ?
Jean-Louis Margolin : Dans ce que j’appelle, à la suite d’un certain nombre d’historiens asiatiques, « la guerre de l’Asie-Pacifique », il y a eu deux grandes phases : une première strictement asiatique, essentiellement sino-japonaise, puis, à partir de 1941, une deuxième pendant laquelle la guerre s’élargit à l’ensemble du Pacifique. Il n’y a pas de rupture entre les deux phases, Pearl Harbor représentant avant tout pour Tokyo un moyen de se sortir de l’enlisement sur le continent chinois. En ce sens, le conflit sino-japonais s’inscrit dans la Seconde Guerre mondiale.
S’il est assez facile de déterminer quand la guerre de l’Asie-Pacifique se termine – avec la capitulation du Japon le 15 août 1945 –, il est plus complexe de savoir quand elle commence. Pour certains historiens japonais, elle débute dès le 18 septembre 1931 avec le coup de force nippon de Moukden, en Mandchourie. Cette attaque déclenche l’occupation complète de cette région, puis la formation en 1932 de l’État fantoche du Manchoukouo, protectorat japonais détaché de la Chine.
Cet épisode, bien qu’il constitue effectivement la première agression de grande dimension contre la Chine, reste en fait militairement et stratégiquement limité. Dans les années qui suivent, plusieurs accords sont signés entre les deux gouvernements, ou entre les états-majors locaux ; aucune opération militaire d’envergure n’est lancée entre 1932 et 1937. « L’incident de Shanghai », qui oppose au début de 1932 trois divisions de la marine nippone aux forces chinoises, demeure un cas isolé.
Je préfère donc en rester à la date assez classique du 7 juillet 1937 et à l’incident du pont Marco-Polo : ce jour-là un accrochage entre soldats en patrouille, au sud-ouest de Pékin, provoque une riposte chinoise qui marque le début de la guerre sino-japonaise. La bataille de Shanghai, d’août à novembre 1937, est la plus grande de ce conflit.
L’H. : Pourquoi le Japon a-t-il attaqué ?
J.-L. M. : La Chine peut apporter au Japon ce qu’il ne possède à l’évidence pas : une profondeur stratégique considérable, une position centrale sur le continent asiatique et des matières premières, dont le précieux minerai de fer qui lui fait cruellement défaut. En 1912, le vieil empire finit par s’effondrer ; l’anarchie s’installe. Dans chaque province, des seigneurs de la guerre se taillent des royaumes semi-indépendants. Pour le Japon, c’est l’occasion idéale d’affirmer sa puissance.
Dans ce domaine comme dans bien d’autres, le Japon copie l’attitude des grandes nations européennes impérialistes. Se constituer un empire colonial est pour lui la meilleure garantie de ne pas être lui-même colonisé.
Il n’existe par contre chez les Japonais à l’encontre des Chinois ni racisme de principe, ni volonté d’extermination ou d’éradication culturelle. Mais les Japonaisde l’époque sont convaincus de la supériorité morale de leur pays et l’opposent à l’abaissement et la veulerie qu’ils attribuent aux Chinois contemporains, descendants dégénérés de la Chine mythifiée qui, au I er millénaire de notre ère, avait fait don de sa civilisation au Japon. Cette certitude d’accomplir sur le continent une mission civilisatrice (ou, en termes confucéens, d’y « manifester son respect filial ») favorisera en fait des comportements de grande violence.
L’H. : Qu’est-ce qui déclenche l’attaque contre les États-Unis en décembre 1941 ?
J.-L. M. : C’est le résultat d’une véritable fuite en avant du Japon. Dès août 1940, profitant de la faiblesse de la France et de l’Angleterre, le Japon installe des troupes d’occupation au Tonkin, puis en juillet 1941 dans le reste de l’Indochine. Cette volonté d’hégémonie sur la région n’est évidemment pas acceptable par les autres puissances, à commencer par l’Union soviétique – il ne faut pas oublier que l’URSS est frontalière du Japon et de la Mandchourie, que l’île de Sakhaline est divisée entre les deux pays. L’URSS n’a pas l’intention de laisser le Japon dominer l’ensemble de la Chine, et aide les Chinois contre les Japonais.
À partir de 1941, les choses changent : l’URSS ayant fort à faire ailleurs, son aide à la
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