Le Japon
maladies, on place des hommes dans des conditions de dépressurisation ou de froid extrêmes. Certaines unités, comme la 731 qui possède ses propres centres de recherche en Mandchourie, sont spécialisées dans ce domaine.
La brutalité n’épargne pas les soldats japonais eux-mêmes : lors des retraites, il n’est pas rare que les soldats blessés qui ralentissent la marche soient exécutés. Et, en cas de défaite, ils sont pratiquement contraints au suicide.
L’H. : Vous avez dit qu’à Nankin les prisonniers chinois avaient été abattus par dizaines de milliers. Est-ce toujours le cas ?
J.-L. M. : Les prisonniers chinois ont été particulièrement maltraités. Aucun dispositif de prise en chargen’avait été prévu pour eux, ce qui pousse à les exécuter – à l’exception de ceux, minoritaires, intégrés à l’effort de guerre nippon, soit comme coolies militaires, soit comme travailleurs forcés au Japon, soit encore comme troupes auxiliaires « collaboratrices ».
Il y eut aussi plus de 300 000 prisonniers de guerre des armées occidentales, dont une bonne moitié est composée de soldats asiatiques. Ces derniers seront pour une large part relâchés rapidement, parce que les Japonais se veulent les libérateurs de l’Asie. Les souffrances se sont concentrées sur les quelque 144 000 prisonniers restants, essentiellement des Hollandais, des Britanniques, des Australiens et des Américains, mais aussi une douzaine de milliers de Français (en Indochine). Leur taux de mortalité a été d’environ 27 % – à comparer avec les 4 % de mortalité parmi les prisonniers occidentaux de l’Allemagne nazie.
Les soldats subissent tout ce qu’un prisonnier de guerre peut connaître de pire : l’entassement, la faim, la chaleur ou le froid, et l’absence de soins médicaux, malgré les miracles accomplis par les médecins militaires de leurs unités.
La seule clause de la convention de Genève respectée par les Japonais est le traitement particulier réservé aux officiers qui, par exemple, ne sont pas astreints au travail forcé. Les simples soldats sont soumis à des travaux épuisants. Le chantier le plus emblématique est celui du chemin de fer dit « de la mort », 415 kilomètres de voies ferrées entre la Thaïlande et la Birmanie, symbolisé par le tristement célèbre pont de la rivière Kwai : 12 000 prisonniers occidentaux et quelque 70 000 travailleurs asiatiques sont morts dans la construction des voies. Les mines et chantiers navals, au Japon ou à Taiwan, furent également des lieux effroyables.
Il faut aussi mentionner les « marches de la mort ». La plus connue est celle de Bataan, aux Philippines, en avril 1942, à laquelle ne survécurent pas au moins 5 600 prisonniers américains et philippins. L’approvisionnement en eau leur fut notamment interdit plusieurs jours durant. Mais il faudrait aussi citer ces 1 200 Australiens détenus à Sandakan (Bornéo) en 1945, et contraints à parcourir 260 kilomètres dans une jungle montagneuse, sans nourriture adéquate : il n’y eut que 6 survivants, tous des évadés.
L’H. : Et les civils, comment sont-ils traités ?
J.-L. M. : Pas beaucoup mieux. J’ai déjà évoqué ceux qui furent tués lors des massacres de Nankin, de Manille, de Singapour, etc. Ailleurs, dans les camps d’internement, les conditions d’existence des quelque 140 000 civils ressortissants des pays occidentaux opposés au Japon ne sont guère meilleures que celles de leurs soldats prisonniers. À ces massacres, il faudrait ajouter des viols innombrables. À Nankin, on estime que furent violentées entre 8 000 et 20 000 femmes chinoises, pratiquement de tous les âges. Ces crimes s’observent dans toutes les régions occupées.
Les Japonais ont mis en place pendant la guerre un système de prostitution aux armées. On recrutait des jeunes femmes, souvent coréennes, soit en les trompant sur leur emploi futur, soit en les achetant à leurs familles, soit en utilisant les réseaux proxénètes déjà existants. Certaines de ces « femmes de réconfort » furent purement et simplement enlevées. Les sévices souvent subis s’ajoutèrent aux souffrances partagées avec les soldats en campagne. Même si ces femmes étaient généralement payées, ce vaste système prostitutionnel, largement sous contrainte, organisé par l’armée à l’échelle d’une régionentière, est d’une ampleur sans égale dans
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