Le Japon
correctement l’information.
Au fond, Short ne croyait pas à l’utilité du radar, contrairement aux enseignements de la bataille d’Angleterre et de la guerre de l’Atlantique. Pour lui, le radar, c’était un instrument d’instruction, pas un moyen de défense. La défense, elle, serait assurée par l’Aéronavale, que Short ne commandait pas. L’amiral Bloch, chargé de la défense navale de la base, s’entend mal avec Short et ne le met guère au courant de ce qu’il fait ou de ce qu’il ne fait pas. En revanche, il tient à ce que la flotte soit amarrée dans la base chaque week-end, pour économiser sur les frais de remorquage et sur les opérations de drainage du chenal.
Quant à Kimmel, le commandant en chef, il n’a pas ordonné de reconnaissances aériennes, pas transmis à Short tous les renseignements dont il disposait, pas compris ce que signifiait le silence soudain, le silence prolongé des porte-avions japonais dont il aurait dû essayer de préciser la localisation. À sa décharge, on dira que le général MacArthur, commandant les troupes des Philippines, dûment averti du raid sur Pearl Harbor, n’a pas fait mieux que Kimmel et passe pourtant pour un héros. Fallait-il un coupable et Kimmel tint-il le rôle de bouc-émissaire ?
Kimmel a cru cela, et l’a dit, jusqu’à la fin de sa vie en 1968. C’est lui qui a popularisé la thèse révisionniste et rappelé inlassablement que les vrais responsables du désastre étaient à Washington. Que d’occasions perdues, en effet, de mettre au jour, puis de contrecarrer les plans de la Marine japonaise ! Depuis l’été de 1940, le service des transmissions de l’Armée a brisé le plus secret des codes diplomatiques japonais. Le système Pourpre est déchiffré par une machine spéciale qui, aux États-Unis, existe en 8 exemplaires (4 à Washington, 1 aux Philippines, 2 à Londres ; la huitième, destinée à Pearl Harbor, est échangée en octobre 1941 contre une machine anglaise). Les télégrammes japonais qui ont été déchiffrés, les Magics , ne révèlent pas tout, puisque la Marine japonaise dispose de codes spéciaux, très souvent renouvelés, que les Américains ne déchiffrent pas. Mais quand même… Le 24 septembre 1941, par exemple, Tokyo demande à son consulat de diviser la base de Pearl Harbor en cinq secteurs et d’adresser des rapports sur chaque secteur. Étonnant, n’est-ce pas ? À Washington, l’Armée s’inquiète. La Marine fait prévaloir l’opinion que les Japonais, insatiables espions, ont décidé de réduire les coûts et le trafic radio. Bien plus, ni Kimmelni Short, les principaux intéressés, ne sont tenus au courant. Le 27 novembre, les deux officiers généraux reçoivent de Washington un télégramme faisant état d’une « menace de guerre ». Washington s’attend au pire, mais ne dit pas que les négociations américano-japonaises ont été rompues. En substance, le télégramme signifie : « Préparez la défense de la base et ne tirez pas les premiers. »
Short conclut qu’il suffit de déclarer l’alerte n o 1, celle qui met en garde contre les saboteurs. Le télégramme, estime-t-il, revêt une signification spéciale pour les Philippines et non pour Hawaï. Kimmel est plus inquiet. Toutefois, une « menace de guerre », ce n’est pas la guerre et la menace ne pèse pas nécessairement sur Pearl Harbor. Enfin, le 7 décembre, le général Marshall, chef d’état-major de l’Armée, se convainc, à la lecture d’un Magic , que les Japonais vont attaquer le jour même une base américaine. Il est 11 h 58 à Washington, soit 6 h 28 à Pearl Harbor. L’attaque aura lieu sans doute vers 13 h, heure de Washington. Marshall ne téléphone pas. Il télégraphie à Panama, San Diego, Hawaï et, en priorité, aux Philippines. Le télégramme parviendra à Pearl Harbor huit heures et demie plus tard, alors que le raid est terminé depuis longtemps.
Ces inconséquences sont troublantes. Mais elles sont explicables. Les services de renseignement travaillent en ordre dispersé. Leurs responsables sont parfois incompétents, parfois nonchalants, toujours soucieux de leur indépendance. La coordination n’existe pas et n’existera qu’avec la création de la CIA en 1947. Les services croulent sous le poids des informations, dans lesquelles il convient de faire le tri. Ce qui paraît évident après ne l’est pas forcément auparavant. Roberta Wohlstetterexplique
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