Le Japon
des distances, qu’il exprime pour la première fois au printemps de 1940. Une idée contraire à la doctrine stratégique de la flotte japonaise qui s’était donné pour mission de livrer bataille aux abords des côtes du Japon. Une idée surprenante, quand on sait que Yamamoto n’éprouve aucun enthousiasme à préparer la guerre contre les États-Unis dont il connaît la puissance industrielle et redoute les forces navales. Mais, depuis qu’il a pris ses fonctions en août 1939, il doit mettre au point la stratégie qui permettra à son pays de construire une sphère de co-prospérité en Asie, c’est-à-dire de s’étendre au sud jusqu’à la proximité de l’Australie, à l’ouest jusqu’à Singapour, à l’est jusqu’à Guam, Wake et Midway. La flotte aura, dans ces conditions, une stratégie offensive. Du coup, la flotte américaine de Hawaï menace le flanc oriental de la flotte japonaise. Avant de se lancer dans son programme d’expansion territoriale, le Japon est obligé d’écarter ce danger potentiel. D’ailleurs, Yamamoto ne prétend pas que Pearl Harbor sera l’objectif unique, voire principal. Si la flotte américaine est en mer, va pour le combat naval. L’essentiel est de porter « un coup fatal » à l’ennemi.
Le grand chef confie l’élaboration du projet à des adjoints brillants et discrets. Mois après mois, en 1941,les préparatifs progressent. Un à un, les problèmes techniques sont résolus. En fin de compte, les plans prévoient une attaque-surprise (traditionnelle chez les stratèges japonais), un raid sur les porte-avions américains, un raid complémentaire sur les avions basés à Oahu. L’attaque devrait avoir lieu au petit jour, pour éviter les inconvénients de la navigation et du bombardement nocturnes. Rien ne peut être entrepris sans de bons renseignements. Le consulat japonais d’Honolulu est chargé de cette mission délicate. Un agent spécial dresse l’état de la base, relève le nombre des bâtiments qui y jettent l’ancre, observe les modalités de l’amarrage, constate que la flotte a l’habitude de rentrer à Pearl Harbor au début de chaque week-end et reproduit avec soin la topographie.
Le 4 novembre, Yamamoto reçoit le feu vert. Si la guerre éclate, l’attaque se fera le 8 décembre, date de Tokyo (soit le 7, date d’Hawaï). La flotte de l’amiral Nagumo quitte les Kouriles le 26 novembre. Elle est définitivement fixée sur sa mission le 1 er décembre. Toutefois, si précise soit-elle dans les moindres détails, l’opération n’aurait pas réussi sans le concours de la chance. La flotte japonaise emprunte la voie du Pacifique Nord, mais le temps aurait pu y être détestable et gêner le ravitaillement en mer. Elle a rompu tout contact radio, mais une flottille de soutien, composée de sous-marins, vient à sa rencontre ; elle aurait pu être repérée. La base de Pearl Harbor était habituellement fermée par un filet de protection et, pourtant, elle est restée ouverte entre 4 et 8 h. Enfin, les bâtiments de la flotte américaine n’étaient pas protégés par des filets d’acier contre les torpilles.
La chance des uns, c’est la malchance des autres. Le savoir-faire des militaires japonais n’a d’égal que lamaladresse, sinon les négligences des militaires américains. Sur ce thème, les historiens sont comblés. De décembre 1941 à juillet 1946, sept commissions administratives et une commission parlementaire ont mené des enquêtes approfondies, interrogé les acteurs et des centaines de témoins, réuni quarante volumes de rapports et de dépositions. Bref, les certitudes ne manquent pas ; les sujets de controverse, non plus.
Au banc des accusés, le général Short et l’amiral Kimmel, l’un et l’autre démis de leurs fonctions et contraints de prendre leur retraite anticipée. Ils auraient commis « des erreurs de jugement », voire « des négligences dans l’accomplissement de leur devoir ». Short n’a pas prévu que les Japonais pourraient entreprendre un raid aérien. Il a envisagé des opérations de sabotage, au pire un débarquement ; rien d’autre. La meilleure preuve, c’est qu’il existait un radar à la pointe nord d’Oahu ; les opérateurs y ont relevé, le 7 décembre à 7 h, la présence d’avions sur leur écran de contrôle, mais ils ont cru qu’il s’agissait d’appareils américains en provenance de Californie et leurs supérieurs n’ont pas su traiter
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