Le Japon
Seconde Guerre mondiale, a montré que les kamikazes étaient en réalité des soldats agissant en temps de guerre, mais pas pour autant les volontaires qu’on prétendait qu’ils étaient 45 . La pression psychologique était telle qu’ils pouvaient difficilement se soustraire au devoir qu’on exigeait d’eux. La plupart étaient de jeunes pilotes de basse extraction sociale, écrasés par l’ampleur de leurs responsabilités. S’ils avaient refusé, ils auraient subi l’opprobre de l’armée, de leur entourage, ils auraient été envoyés sur les fronts les plus dangereux pour y mourir sans gloire 46 .
Malgré la prédiction qui leur était faite, de la part de leurs supérieurs, de rejoindre « le paradis des héros », bien peu sans doute des 3 450 kamikazes qui périrent en 1944-1945 partirent la joie au cœur. Leurs derniers messages montrent que leurs ultimes pensées allaient à leurs parents, à leur mère, parfois au temple Yasukuni, à Tokyo, destiné au repos des âmes des soldats. Mais rares étaient ceux qui s’adressaient à l’empereur au nom duquel cette guerre était menée. Dans ces lettres ne perce aucun espoir de renverser le cours de la guerre, mais seulement l’acceptation froide et lucide du destin : celui du guerrier qui doit obéir et se sacrifier.
Les discours sur le volontariat enthousiaste des kamikazes, reproduits dans les livres, mangas et films, sontdonc loin de refléter la réalité. Celle-ci se trouve plutôt dans les souvenirs des jeunes lycéennes de Chiran, réunis dans un ouvrage 47 . Chiran était située à proximité de la base d’entraînement des kamikazes, à Kyushu. Les jeunes filles du lycée, qui assistaient à leur départ et recueillaient les lettres et derniers objets auxquels ils tenaient, nous les montrent sous un jour inhabituel.
Certes, dans les chambrées des combattants régnait parfois une sorte d’euphorie, avant le recueillement qui précédait le départ. Cependant, les officiers qui répercutaient la propagande entendue à la radio étaient traités par leurs camarades de « kichigai », c’est-à-dire de « fous », de « déments ». Lorsque ces jeunes hommes recevaient l’ordre de se préparer à attaquer, leurs visages trahissaient souvent un profond désarroi. Certains restaient alors de longues minutes enfouis sous leur drap, tétanisés par la peur.
Des rescapés de ces formations-suicides (soit parce qu’ils ont pu échapper à la chasse américaine, soit parce que, faute d’avions, ils n’ont finalement pu prendre l’air) insistent sur le caractère contraignant que masquait l’officiel volontariat. Kenichiro Onuki, pilote kamikaze âgé de vingt-trois ans en octobre 1944, assure, dans un livre réunissant des interviews de survivants, qu’il n’existait aucun moyen de se soustraire à cette exigence de sacrifice. Il décrit le désarroi de ces jeunes soldats, venus pour devenir pilotes et envoyés à la mort.
Parmi les douze hommes de son escadrille, il s’en trouva un qui eut le courage de refuser. Il fut cependant obligé d’écrire qu’il s’était librement porté volontaire, ettout le groupe eut droit à un discours moralisateur sur l’honneur du soldat japonais.
Lorsque ce fut son tour de partir, Onuki ne put avaler aucune des rations de saké qu’on lui proposait avant son départ. Une fois dans son cockpit, il se mit à pleurer. Dès le décollage, il fut attaqué par des avions américains qui l’avaient détecté au radar, et c’est miraculeusement, l’avion criblé de balles, qu’il réussit à atterrir sur l’un des petits atolls d’Okinawa. Là, il attendit quarante-cinq jours avec d’autres, mourant de faim, avant qu’un avion japonais ne réussisse à déjouer la chasse américaine et à les ramener à Fukuoka.
À son retour à cette base de commandement des opérations kamikazes, loin d’être bien accueilli, Onuki fut mis en quarantaine. Sa réapparition n’était pas prévue ; on le traita en paria, en malade mental. Il ne put donner aucune nouvelle à sa famille, qui habitait alors Taïwan. Le croyant mort, ses proches reçurent les félicitations des voisins et durent organiser une cérémonie funèbre lors de la réception de la symbolique boîte à ossements… À la fin de la guerre, de retour chez lui, Onuki eut la surprise de constater que sa mort avait été consignée en date du 5 avril 1945, dès l’envol pour son dernier voyage ! La famille, qui avait
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