Le Japon
l’Allemagne nazie, c’est-à-dire contre des populations blanches ?
Tout au long de la guerre, les Américains considéraient que le Japon, bien davantage que le III e Reich, était la puissance criminelle. « L’ennemi en Europe est l’Allemagne nazie, l’adjectif étant plus important que le nom ; on établit une distinction entre le peuple allemand momentanément égaré et ses mauvais dirigeants […] Au contraire, les Japonais sont souvent représentés comme des êtres infra-humains, d’une cruelle bestialité comme l’attestent les massacres commis par les troupes impériales en Asie », écrit Jean Heffer 48 .
Sans doute les deux bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki établirent-ils une mesure nouvelle dans l’horreur du massacre dont les populations civiles sont victimes. Trois mois après Hiroshima, Robert Guillain, qui deviendra correspondant du Monde , se rend sur les lieux : « J’ai eu honte pour l’Occident, honte pour la science, honte pour l’homme », affirme-t-il. 190 000 morts furent identifiés dans les jours qui suivirent. Aujourd’hui encore, dans les hôpitaux, des survivants meurent des conséquences des radiations.
Longtemps les Américains, qui occupèrent le Japon jusqu’en 1952, cherchèrent à étouffer l’information surles conséquences de la bombe. Avec la complicité passive des Hibakusha (irradiés) cachant leur honte et discriminés dans leur propre pays : le Japon, en refusant la bombe, en refusait aussi les victimes.
Au-delà de la mémoire officielle des parcs de la paix, musées, monuments et cérémonies qui, chaque 6 et 9 août, commémorent une tragédie qualifiée par l’ex-maire de Nagasaki, Hitoshi Motoshima, de « crime contre l’humanité », les survivants de l’explosion, qui portent les stigmates du pikadon – onomatopée de la bombe : pika , pour l’éclair atomique, et don , pour la déflagration –, forment la mémoire vivante de la tragédie.
Reste à savoir si l’allergie antinucléaire est inscrite définitivement dans la mentalité japonaise 49 . Seul pays à avoir subi un bombardement nucléaire, le Japon s’interdit, dans sa Constitution promulguée le 5 mars 1946 (article 9), le recours à la guerre.
Aujourd’hui, si ses forces d’autodéfense participent à différentes opérations militaires dans le monde, comme c’est le cas actuellement en Irak, la position du pays concernant l’arme nucléaire, adoptée en 1957, reste inchangée : ne pas fabriquer, ne pas posséder, ne pas introduire de telles armes sur son territoire – on sait pourtant aujourd’hui que les Américains, dans les années 1960, ont stocké des armes nucléaires dans l’archipel.
« Les Japonais doivent être fiers de leur Constitution pacifique et s’employer à corriger la tendance actuelle à accepter la guerre et l’arme nucléaire », a rappelé Tadatoshi Akiba, le maire d’Hiroshima, le 6 août 2004,face au Premier ministre Junichiro Koizumi, partisan de la révision de la Constitution pacifiste et qui poursuit, lui, le développement des capacités militaires de son pays.
Dans son souci de se doter des attributs de la puissance, le Japon ira-t-il jusqu’à devenir une nation nucléaire ?
Notes
48 . J. Heffer, Les États-Unis et le Pacifique , Paris, Albin Michel, 1995.
49 . E. Seizelet, Les Ambiguïtés du discours politique japonais , Paris, Autrement n o 39, 1995.
Le procès des criminels de guerre japonais
Quand s’ouvre la première séance du Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient, le 3 mai 1946, son président, l’Australien William Webb, déclare : « Il n’y a pas eu de procès criminel plus important que celui-ci dans toute l’histoire. »
Les travaux du tribunal ont revêtu, en raison de l’immensité de la zone d’action de l’armée japonaise durant la guerre sino-japonaise et la guerre du Pacifique, une grande importance pour les pays qui bordent l’océan Pacifique et ceux d’Asie orientale, ainsi que pour plusieurs nations européennes.
Lors de l’ouverture du procès de Tokyo, le Japon est un pays ruiné, dévasté. Il a perdu durant la guerre (qui pour lui a commencé dès 1937) au moins 2,7 millions d’hommes et un quart de ses richesses. De nombreuses cités sont en grande partie détruites : Tokyo à 65 %, Nagoya à 87 %. Deux villes ont été soumises au feu atomique. Neuf millions de personnes sont sans abri, 6,5 millions sont à
Weitere Kostenlose Bücher