Le Japon
chimiques et bactériologiques japonaises, testées sur des cobayes chinois, russes et occidentaux et utilisées en Chine, a fait douter un peu plus de la sincérité de l’Oncle Sam. En effet il a été prouvé que les Américains, désireux de combler leur retard en la matière, ont garanti une totale immunité aux membres de l’unité 731 en échange des résultats de leurs travaux.
C’est la guerre froide qui finira de discréditer le procès de Tokyo. En effet, tous ceux qui auraient dû être traduits en justice, lors d’un deuxième ou d’un troisième procès, sont libérés, tant est devenue impossible la collaboration entre les États-Unis et l’Union soviétique.
Le procès pâtit du changement radical de la politique menée au Japon par les Américains. Jusqu’alors, les autorités d’occupation avaient encouragé la formation de syndicats, laissé se réformer et agir librement le parti communiste, favorisé libertés individuelles et réformes sociales. Or la peur d’une contagion communiste après la victoire de Mao Zedong en Chine en octobre 1949 conduit à une « purge rouge » : la coopération des élites civiles japonaises et des autorités d’occupation américaines paraît désormais indispensable.
Ainsi se maintient au pouvoir toute une classe de fonctionnaires du Japon d’avant-guerre. On assistemême au retour d’importants dirigeants de la Seconde Guerre mondiale : ainsi Kishi Nobusuke, ancien suspect de crimes de guerre de la catégorie A, relâché après le procès de Tokyo, et qui devient Premier ministre dès 1957…
Ces élites parfois compromises ont beaucoup fait pour freiner l’enseignement de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale dans les écoles japonaises et contribué à une quasi-amnésie collective des crimes de guerre. De manière caractéristique, Tojo continue d’être perçu comme un bouc émissaire, et si les Japonais ont quelque chose à lui reprocher, c’est moins d’avoir provoqué ou couvert un certain nombre de crimes de guerre que d’avoir engagé son pays dans un conflit qu’il était incapable de remporter.
Notes
50 . G. L. Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme , Paris, Hachette Littératures, 1999.
51 . De nombreux procès de criminels de catégories B et C, responsables à un échelon local, ont lieu dans les pays où ont été commis les forfaits, selon le droit de ces pays. Plus de 25 000 Japonais – y compris des Coréens et des Taiwanais, sujets japonais au moment des faits – sont arrêtés, 5 700 sont jugés et 984 condamnés à mort. Cf. Franck Michelin, « Les Coréens enrôlés dans l’armée japonaise et les procès de l’après-guerre », Cipango, Cahier d’études japonaises n o 9, 2000.
52 . A. C. Brackman, The Other Nuremberg. The untold story of the Tokyo War crimes trial , New York, William Morrow and Cie, 1987, p. 85-86.
53 . En mai 1942, 76 000 soldats américains et philippins se rendent aux forces japonaises, à Bataan et Corregidor. Ils doivent faire 120 km de marche forcée pour atteindre leurs camps de détention. Plus de 10 000 hommes périssent durant cette « marche de la mort », qui dure une semaine.
Nationalisme et crimes de guerre au Japon
Le dossier Hiro-Hito
Dans le Japon du Premier ministre Obuchi, l’empereur Hiro-Hito reste un tabou. Une polémique a opposé en 1999 le gouvernement japonais au magazine Time qui, dans un dossier sur les cent personnalités qui ont fait le XX e siècle, avait consacré un article à l’empereur. Le Premier ministre s’est trouvé particulièrement irrité par la photo qui l’accompagnait représentant Hiro-Hito en uniforme militaire : elle ne traduisait pas, selon lui, « le sentiment de l’empereur qui s’est efforcé de mettre fin à la guerre » ; et d’ajouter devant les journalistes : « Les revues anglo-saxonnes devraient faire des efforts pour publier la vérité. »
La mobilisation des plus hauts dirigeants nippons dans cette affaire s’inscrit dans le mouvement profond de révision du passé et de réveil de l’esprit national que connaît aujourd’hui le pays. En témoigne la récente loi légalisant l’emblème du Soleil levant et l’usage de l’hymne national à la gloire du souverain. Mais aussi les appels à la révision de la Constitution pacifique adoptée par le pays (sous la pression des États-Unis) en 1947 54 . Ou encore l’officialisation du pèlerinage des membresdu gouvernement
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