Le Japon
conditions, les importations étrangères devinrent de moins en moins indispensables, et lecommerce avec les Chinois ne cessa de décliner à Nagasaki durant le XVIII e siècle. On estime par conséquent qu’au moment de l’ouverture des ports dans les années 1850-1860, le Japon pouvait subvenir seul à l’essentiel de la consommation du pays. Dans les années 1770, l’archipel se mit même à exporter certaines de ses spécialités appréciées des Chinois, comme les ormeaux, les ailerons de requin et d’autres produits de la mer, afin d’obtenir de l’argent, en inversant ainsi les termes de l’échange tels qu’ils existaient au XVII e siècle.
Même si la « fermeture du pays » n’eut pas à l’origine de motivation économique, certains historiens japonais, comme Kawakatsu Heita, font de la limitation des échanges extérieurs l’une des clés du développement économique de l’époque d’Edo : elle aurait permis aux Japonais de se libérer de leur dépendance envers les productions chinoises, à peu près à l’époque où l’Angleterre s’affranchissait des approvisionnements en cotonnades indiennes. Mais alors que l’expansion économique européenne alla de pair avec une expansion coloniale et la conquête de nouvelles zones de production et de consommation hors de la métropole, la dynamique de la croissance du Japon de la période d’Edo fut essentiellement tournée vers la construction d’un marché intérieur. Toutefois, même si le progrès général de la production et des conditions de vie durant la période d’Edo est indéniable, la politique du shogunat avait aussi ses inconvénients : malgré l’amélioration des techniques agricoles (utilisation massive des engrais, développement de la double ou triple récolte sur une même parcelle), l’impossibilité de recourir à des importations pour surmonter les crises de subsistance explique en partie les ravages de famines générales qui frappèrent le pays jusque dans les années 1830.
Mais pourquoi le Japon, tout aussi fermé que la Chine ou la Corée, souffrit-il beaucoup moins que ses deux voisins du choc avec les puissances impérialistes et de la réouverture des ports sous la contrainte au XIX e siècle ?
Pour l’historien démographe Hayami Akira, le facteur clé est peut-être à rechercher dans la stabilisation démographique nippone au XVIII e siècle, découlant selon lui d’une volonté des populations de maintenir un certain niveau de vie dans un contexte climatique difficile, alors que la population chinoise, elle, continuait à augmenter pour finalement s’appauvrir. Des dirigeants plus ouverts aux perspectives de profit du commerce, une situation de concurrence économique entre les fiefs, provoquée par le maintien d’un relatif morcellement politique du pays, tout cela dut aussi jouer à terme à l’avantage du Japon.
Ce qui différencie les Japonais de la période d’Edo de leurs voisins continentaux fut aussi le degré de curiosité de leurs élites par rapport aux évolutions du reste du monde et la diffusion des informations sur l’étranger et ses savoirs. Alors même que le gouvernement de Tokugawa Iemitsu imposait un contrôle très strict sur les échanges avec l’extérieur, y compris sur les importations d’ouvrages étrangers (toujours par crainte de la propagande chrétienne), les dirigeants promouvaient les études chinoises pour se donner les moyens de bâtir un régime stable, inspiré par les savoirs politiques, administratifs, techniques, expérimentés sur le continent. L’époque d’Edo fut en particulier celle où le néoconfucianisme, doctrine importée de Chine qui reposait sur des valeurs comme la déférence, le respect de l’ordre et de l’État, et qui amena aussi un souci plus grand du bien-être de leurs sujets chez les gouvernants, sortit des monastères et de la cour de Kyôto pour devenir, à la place du bouddhisme, la référence intellectuelle dominante.
Les technologies de l’agronomie chinoise ou de sa médecine connurent également une diffusion sans précédent depuis le régime des Codes, dans le Japon antique du début du VIII e siècle. Bien qu’on n’envoyât plus d’étudiants sur le continent, comme dans l’Antiquité, la culture chinoise, adaptée aux réalités japonaises, servit une fois encore de modèle de civilisation et irrigua le Japon, tout au long du XVII e siècle, avec la bénédiction des Tokugawa.
Cette
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