Le Japon
ouverture volontariste aux acquis des expériences continentales semblait inscrire encore davantage le Japon dans l’espace sinisé de l’Asie orientale. Cependant, si la culture chinoise s’avéra au XVII e siècle un instrument efficace pour discréditer l’influence chrétienne, elle ne put imposer au Japon sur le long terme une hégémonie absolue capable d’étouffer toute autre influence.
Dès le début du XVIII e siècle en effet, les élites japonaises s’avisèrent à nouveau de l’intérêt des savoirs des Occidentaux, qui apportaient un complément appréciable aux ouvrages chinois dans des domaines comme les sciences naturelles, l’astronomie ou la géographie. À partir du gouvernement du huitième shogun, Tokugawa Yoshimune (1684-1751), les restrictions qui pesaient sur les importations de livres européens et sur leurs traductions ou adaptations en chinois furent assouplies. Cette décision fit de Nagasaki, où arrivaient les livres importés par la Compagnie des Indes orientales, un centre intellectuel dynamique où s’épanouirent au cours du XVIII e siècle les « études hollandaises » (rangaku) , c’est-à-dire l’assimilation des connaissances des Occidentaux à travers des traductions scientifiques d’ouvrages en néerlandais.
C’est ainsi que, par exemple, les théories de Newton furent présentées au Japon entre 1798 et 1802 par Shizuki Tadao – l’inventeur du mot sakoku . La médecine occidentale rencontra également un grand succès. Un tournant capital dans le développement des « études hollandaises » fut l’édition en 1774, sous le titre du Nouveau Livre d’anatomie , du Anatomische Tabellen de l’Allemand Johann Adam Kulmus, traduit à partir du néerlandais grâce à une équipe de savants dirigés par Sugita Genpaku. En 1793 était publié L’Indispensable de la théorie occidentale en pathologie interne , premier manuel de médecine générale européenne mis à la disposition des praticiens japonais. Le milieu médical, jusqu’alors dominé par les savoirs chinois, devint dès lors au XIX e siècle un puissant vecteur de l’implantation des sciences occidentales dans l’archipel.
La curiosité finit par déborder les seuls savoirs pratiques et les milieux de spécialistes néerlandophones : les informations sur l’art militaire ou l’histoire récente des pays européens se répandirent dans les milieux dirigeants et les élites intellectuelles. Dès les années 1840, on rédigeait ainsi au Japon des biographies de Napoléon.
L’attention que l’aristocratie guerrière de la fin de la période d’Edo porta aux connaissances sur l’Occident fut stimulée par le retour des Européens dans les parages du Japon. Les Russes, dont la progression vers la mer du Japon avait été bloquée par la Chine dans les années 1680, approchèrent des confins septentrionaux de l’archipel par les Kouriles et Sakhaline à la fin du XVIII e siècle. Puis ce fut au tour des Anglais, en particulier après les guerres napoléoniennes, de réapparaître aux abords de l’archipel.
Les tentatives insistantes de ces nations ou de leurs marchands pour obtenir des autorisations de commercer conduisirent dans un premier temps les autorités shogunales à faire montre de fermeté, en promulguant en 1825 un « ordre de tir à vue sur les navires étrangers ».Mais la réflexion des intellectuels et des politiques sur le mouvement d’expansion des nations européennes commençait déjà à modifier les perceptions de l’environnement international. Dès les dernières années du XVIII e siècle, le penseur Honda Toshiaki remettait en cause, dans ses ouvrages sur le gouvernement et l’économie, la limitation des contacts avec l’extérieur imposée par les Tokugawa.
Ce furent les nouvelles de la première guerre de l’opium opposant l’Angleterre et la Chine en 1840 qui firent brutalement prendre conscience aux Japonais de leur position de faiblesse, et de la nouvelle donne en train de se mettre en place en Asie orientale. La défaite humiliante et complètement inattendue des Qing devant l’Angleterre fit tout à la fois la démonstration de la supériorité de la technologie militaire des Occidentaux, et des risques qu’encouraient les pays trop sûrs d’eux qui s’aventuraient à les mépriser.
Aussi, dans les années 1840, tout en maintenant son refus d’accueillir de nouvelles nations, le shogunat renonça à renvoyer les étrangers
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