Le Japon
production (en termes de variété et de quantité). D’autre part, on fait porter l’effort d’adaptation sur les travailleurs au niveau de l’atelier, qui est le cœur de la création de la valeur ajoutée.
Le « sens de la crise » que l’on demande aux employés est censé être porteur de créativité et de mouvement. Pour ne pas dégénérer en un pur stress organisationnel, il doit être contrebalancé par des facteurs de stabilité (sécurité de l’emploi, notamment), qui constituent le cœur du toyotisme. Pour le dire autrement, la réussite du système est fortement conditionnée par ce qu’on peut qualifier de « rapport salarial toyotiste » : les conditions de carrière, la sécurité de l’emploi, la répartition dans l’entreprise, en bref tout ce qui assure la reproduction de la force de travail et son implication dans le processus de production – c’est tout cela le toyotisme.
L’implication remarquable des salariés de Toyota ne tient donc pas à un prétendu trait culturel immuable (l’obéissance par exemple !) mais à un contrat implicite de type donnant-donnant. C’est cet ensemble – système de production de Toyota + rapport donnant-donnant – qui est à l’origine de la formidable réussite de l’entreprise, en plus des stratégies de marketing et d’internationalisation.
L’H. : Ce système de production a-t-il été généralisé à d’autres entreprises ?
S. L. : La réponse est clairement non : tout n’est pas toyotiste au Japon et il est essentiel de distinguer le modèle japonais du système de production de Toyota. Plusieurs grandes entreprises ont tenté d’adopter le TPS dans les années 1980. Certaines ont réussi (comme Denso, initialement un sous-traitant de Toyota qui fabrique des composants électroniques pour les automobiles et qui est depuis devenu indépendant), d’autres non (Sony par exemple). Les tentatives de transfert ont été modestes et limitées.
Ajoutons que le système de production de Toyota et le toyotisme sont, je vous l’ai dit, un cas tout à fait particulier. De fait, on dit souvent que dans les années 1960, l’entreprise la plus représentative du « modèle japonais » du point de vue de l’organisation du travail n’est pas Toyota, mais Matsushita.
L’H. : Au total, comment caractériser ce mode d’organisation du travail ?
S. L. : La représentation habituelle du système, ce sont les « trois trésors » – l’emploi à vie, le salaire à l’ancienneté et le syndicat d’entreprise –, mais cette image, qui correspond à une certaine réalité, doit être relativisée.
D’abord, ce système d’emploi, qui se met en place au début des années 1950, est le produit d’un contexte très particulier, marqué, depuis la fin des années 1930 par un déficit de main-d’œuvre qualifiée. Sa principale caractéristique n’est pas tant l’emploi à vie (qui mérite plutôt la qualification d’emploi « de long terme ») ou le salaire à l’ancienneté (qui n’est qu’une composante de la formation des salaires) que ce que l’économiste japonais Koike appelle « the white collarization of bluecollar workers », c’est-à-dire l’égalité de traitement entre les ouvriers (cols bleus) et les employés (cols blancs).
La mobilité du travail n’est pas absente de ce système, mais elle est concentrée en début et en fin de carrière. Quant à la pratique des licenciements, elle n’est pas rare, mais le plus souvent en dernier ressort, après que tous les autres instruments de flexibilité (réduction des heures supplémentaires, mobilité interne, réduction des embauches, etc.) ont été mis en œuvre.
Quant au salaire à l’ancienneté, il n’est en fait pas très différent de ce qu’on observe dans les grandes entreprises manufacturières d’Europe ou des États-Unis, à la différence près que, au Japon, il s’applique également aux ouvriers. La spécificité japonaise, jusqu’au début des années 1990 se situe plutôt au niveau du shunto (« l’offensive de printemps »), cette négociation salariale entre patrons et syndicats dans les entreprises, coordonnée au niveau de chaque secteur de production (par exemple, sidérurgie, automobile).
Il faut également mentionner l’existence d’un système de bonus, bisannuel, qui représente parfois jusqu’à cinq salaires mensuels, et qui permet de faire dépendre les rémunérations des salariés
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