Le Japon
en partie des performances de ces entreprises.
En conclusion, c’est un système d’incitation destiné à obtenir une forte implication des travailleurs. Cette dernière se traduit, par exemple, par des durées de travail plus longues qu’en France, mais moins longues qu’aux États-Unis dans les années 1990 (moins de 1 800 heures par an en moyenne au Japon contre moins de 1 600 en France et plus de 1 900 aux États-Unis).
L’H. : Où en est-on aujourd’hui ? Le Japon est-il devenu un pays comme les autres ?
S. L. : Pour beaucoup d’analystes, la période qui s’ouvre en 1992, cette « décennie perdue », signifie la fin du miracle japonais. Alors que le Japon a dépassé tous les pays européens et presque rattrapé les États-Unis, les vertus du modèle que l’on vient de décrire, qui était essentiellement tourné vers la croissance et le rattrapage, disparaissent.
Je ne souscris pas à cette analyse. En particulier parce que la longue stagnation de l’économie japonaise n’est pas due à un excès de régulation ou un manque de compétition ; elle résulte plutôt des effets néfastes de la dérégulation entreprise depuis le début des années 1980. Celle-ci a permis une meilleure insertion de l’économie japonaise dans l’économie mondiale et offert de nouvelles sources de financement aux entreprises (par exemple, l’émission d’obligations). Mais elle a favorisé la formation des bulles financières et foncières et, de façon encore plus profonde, elle a déstabilisé les formes de coordination précédemment décrites.
Les liens des keiretsu et de la sous-traitance se sont distendus et la politique industrielle est tombée en désuétude. À mon sens, le renouveau de l’économie japonaise que l’on observe à partir de 2005 s’explique de façon structurelle par l’émergence de nouvelles formes de coordination, par exemple la revitalisation de la politique publique d’innovation ou la formation d’alliances inédites entre des entreprises concurrentes pour développer des technologies innovantes et très coûteuses. Ce fut récemment le cas de Toshiba et Hitachi par exemple, ce qui aurait été impensable il y a dix ans.
L’H. : Le Japon est-il condamné à s’américaniser ?
S. L. : Le succès de Toyota est là pour rappeler qu’il est possible pour des entreprises japonaises de réussir tout en maintenant des principes d’organisationcontraires à ce qu’on observe dans les entreprises américaines.
Cependant, dans le même temps, des entreprises, comme Nissan à la suite du plan de revitalisation initié par Carlos Ghosn dans le cadre de l’alliance avec Renault en 1999, ont clairement changé de modèle et se rapprochent d’un mode de gouvernance à l’anglo-saxonne, dans lequel les actionnaires et la rentabilité de court terme sont prioritaires par rapport aux employés et la croissance de l’entreprise. De la même façon, dans le secteur clé de l’électronique, alors que, comme on l’a rappelé, le modèle dominant était incarné par une entreprise comme Matsushita et qu’une entreprise comme Sony faisait figure d’exception (son mode de gouvernance a toujours été plus proche du modèle américain, ou, si l’on veut, du modèle de Nissan aujourd’hui), aujourd’hui, plusieurs entreprises (IBM Japan, Kyocera) suivent, avec succès, un modèle tout à fait différent.
Autrement dit, ce qui caractérise aujourd’hui le monde des entreprises nippones, ce n’est pas la fin du « modèle japonais » mais sa diversité croissante.
Note
80 . Un mode de financement qui permet à chaque entreprise de faire appel principalement à une banque pour ses besoins en crédit, laquelle lui accorde des facilités en échange d’un droit de regard sur la gestion en cas de difficultés.
La puissance paradoxale
L’Histoire : Quand le Japon apparaît-il sur la scène internationale ?
Karoline Postel-Vinay : Avant l’expansion impérialiste européenne en Asie orientale, au milieu du XIX e siècle, il existe une scène internationale à l’échelle de la région, dominée par la Chine, et dont fait partie le Japon. Les Européens vont créer un ordre international à l’échelle planétaire, dont ils seront les acteurs dominants 81 . Le Japon va alors quitter le système asiatique pour basculer vers ce nouvel ordre global lorsqu’il attaque la Chine en 1894 et la vainc en 1895, obtenant entre autres Taiwan. C’est le
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