Le Japon
Japonais ont-ils perçu cette tutelle américaine ?
K. P.-V. : Pour les Japonais, la présence américaine aura signifié le retour de la paix, de la prospérité et de la démocratie, après plus de dix ans d’une dictature militaire désastreuse à tous points de vue. On peut dire que l’occupation a été une réussite. Si la démocratie a pu s’imposer si facilement, c’est que le Japon avait connu une expérience démocratique au début du siècle. En 1889, le Japon est le premier pays non occidental au monde à se doter d’une Constitution. En 1890 est établi un Parlement, élu au suffrage censitaire. Des partis politiques et des syndicats se constituent au tournant du XX e siècle. En 1925, le suffrage masculin est établi, y compris pour les sujets coréens. Les Japonaises obtiennent le droit de vote en 1945, peu de temps après les Françaises (1944). Mais la rapidité de la démocratisation tient sûrement beaucoup au fait qu’en 1945 la population japonaise est très éduquée.
Le pacifisme a également pris racine très vite et très profondément. Au moment de la capitulation, le sentiment général, c’était le soulagement que la guerre soit enfin finie. Les Japonais avaient l’impression d’avoir été trahis par l’armée. A donc prévalu un rejet total du militarisme en phase avec les mesures voulues par les Américains. Et l’article 9 de la Constitution a fini par être sacralisé. Lorsque la guerre de Corée a éclaté, les Japonais ne voulaient pas en entendre parler : au point que MacArthur juge dans ses Mémoires que les Américains étaient allés trop loin dans l’éducation pacifiste…
L’H. : Quelles sont les étapes du retour sur la scène internationale du Japon ?
K. P.-V. : En 1956, le Japon entre à l’ONU, après la normalisation de ses relations avec l’URSS : un armistice est enfin signé entre les deux pays (mais aucun traité de paix, de sorte que, techniquement, l’URSS et le Japon sont restés en guerre jusqu’en 1989 !). L’armistice permet cependant aux prisonniers de guerre japonais de revenir, onze ans après la fin de la guerre (en août 1945, près de 600 000 Japonais étaient prisonniers dans les camps du Goulag ; beaucoup y sont morts).
Mais c’est bien la puissance économique du Japon qui le propulse, dans les années 1970, sur la scène internationale : en 1975, il est assis, à Rambouillet, à la table des six grands. Son PNB est alors au troisième rang derrière l’Allemagne, qu’il dépassera quelques années plus tard. En 1972, le journaliste Robert Guillain publie Japon, troisième grand et Ezra Vogel Japon as Number One .
L’H. : Mais ce nouveau géant économique est resté un « nain politique » ?
K. P.-V. : En effet, car le Japon n’a pas recouvré sa puissance diplomatique. Il n’a aucune marge de manœuvre par rapport aux États-Unis. Il s’aligne systématiquement sur toutes les grandes décisions politiques prises à Washington. Après le premier choc pétrolier de 1973, il a bien essayé de faire preuve d’un peu d’autonomie en adoptant des positions moins pro-israéliennes et plus pro-arabes – lui qui est très dépendant du pétrole. Mais l’essentiel est resté l’alliance avec les États-Unis.
Ce profil bas de la diplomatie japonaise est assumé et proclamé. Le pays revendique son pacifisme, son absence d’armée. Même sur le plan économique, une trop grande puissance inquiète les Japonais dans la mesure où elle pourrait mettre en péril les liensaméricano-japonais. Dans les années 1980, alors que les relations économiques avec les États-Unis commençaient à se tendre et que le Japon était accusé de mener une guerre économique, les Japonais ne voulaient surtout pas devenir numéro un.
Remettre en cause l’alliance pro-américaine, même s’il y a eu des hauts et des bas dans la relation nippo-américaine, ce n’est pas possible. Pas quand on a comme voisins une Chine de plus en plus puissante et dont les intentions sont difficiles à lire ou une Corée du Nord incontrôlable.
L’H. : Le grand ennemi du Japon, c’est la Chine ?
K. P.-V. : C’est plus compliqué que cela. Les deux voisins, on l’a vu, sont de vieux rivaux. Mais les Japonais gardent un grand respect pour la Chine dans la mesure où elle représente la source de leur patrimoine culturel classique. Ce qui divise le Japon et la Chine de manière immédiate, c’est leurs régimes
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