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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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dès le premier coup d’œil, c’était une imposante statue du Christ qui le représentait présidant au Jugement dernier, assis sur un trône d’or tout garni d’ornements en or plaqué. Comme toutes les autres statues du portail, il se détachait sur fond d’or. À ses pieds, deux linteaux inférieurs évoquaient le Jugement. Sur celui du bas, des morts ressuscitaient pêle-mêle ; il y avait des rois et des paysans, des chevaliers encore vêtus de leur vieille cotte de mailles et de jolies dames. En haut, saint Michel procédait à la pesée des âmes. À sa gauche, des anges conduisaient au Paradis les élus qui, le visage levé vers Jésus, paraissaient déjà en extase et ne remarquaient pas qu’à la droite de saint Michel d’affreux démons poussaient des damnés encordés, l’air malheureux, en direction de l’enfer.
    Parfois, Louis avait l’impression que Jésus, du haut de son trône, abaissait les yeux sur lui et le regardait passer dans un silence réprobateur. Il savait, l’enfant en était sûr. Jésus savait que Père lui avait strictement défendu d’aller à l’église : « Les tarés de ton espèce ne sont pas dignes de s’y montrer », lui avait-il dit. Louis le croyait volontiers. Dieu devait être quelqu’un de très important pour posséder un peu partout des maisons plus splendides que des palais. Et Notre-Dame était la plus majestueuse de toutes ces maisons. Elle exerçait un attrait irrésistible sur un enfant qu’un rien suffisait à émerveiller.
    Lorsqu’il franchissait le seuil, les prunelles de Louis redevenaient vagues et il effaçait le portail du Jugement de son esprit. Cette scène l’avait toujours effrayé. La lumière déclinante de ce jour-là semblait la rendre plus terrifiante encore. Il se demandait souvent où il allait être emmené, lui, à la fin des temps. Certainement pas avec les élus, il n’était pas assez bon pour cela. Ses craintes ne l’avaient toutefois jamais empêché de continuer à se glisser, furtif, parmi la foule bigarrée qui bourdonnait continuellement autour de Notre-Dame.
    Il ne pouvait s’empêcher d’espérer qu’il puisse y avoir une autre issue que l’enfer pour un petit garçon insignifiant comme lui. Jésus allait peut-être l’oublier dans un coin, car il y avait tellement de monde partout. À Notre-Dame, plus que n’importe où ailleurs, il lui était aisé de disparaître. Très vite, il n’existait plus pour personne. Père lui-même n’allait jamais savoir qu’il se trouvait là, et Dieu non plus. Parce qu’il n’était rien.
    Sans le savoir, Louis pénétrait dans ce qui était pour l’Église catholique le sanctuaire absolu. Toute l’aventure humaine y était consignée, de la faute originelle au Jugement dernier qui semait tant d’effroi dans les esprits. Notre-Dame était aussi et allait être un compendium de l’Histoire. Ses fondations plongeaient au cœur de l’Empire romain finissant et c’était à cause de cette cathédrale que Clovis {10} avait choisi Paris pour capitale. Alors qu’elle n’était encore qu’une petite église romane, ses piliers avaient été effleurés par les grossières mantes fourrées de forestiers à demi sauvages. Elle n’avait été achevée que quelques années plus tôt, au début du XIV e  siècle {11} .
    Une foison de vitraux somptueux entourait le fidèle de toutes parts : au fond du chœur, leurs nuances avaient la timidité de l’aube ; au sud, en plein midi, le soleil transformait bleus, rouges et verts en merveilles inaccessibles témoignant de la béatitude des élus qui avaient déjà rejoint le Christ ; le nord était dévolu aux sévérités de l’Ancien Testament, évoquées dans des teintes froides qui leur convenaient fort bien. Une troisième rosace flamboyait, étourdissante, du côté occidental {12} .
    Ces œuvres colossales se joignaient aux mille teintes dont était revêtue la pierre de la cathédrale. Statues, colonnes, voûtes, tout était coloré. La plupart des éléments saillants, peints en bleu, se détachaient sur un fond rouge. De somptueuses tapisseries ornaient le chœur.
    La petite silhouette grise de Louis s’avançait avec déférence dans la nef au sol encombré de tombeaux en cuivre et en marbre illuminés par une débauche de herses, de lampes et de lourds chandeliers ; de chaque côté, elle était ourlée par des pupitres où étaient enchaînés de précieux psautiers, antiphonaires et graduels dont seuls

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