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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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disparu.
    Chaque fois qu’il se livrait à cette activité, il ne pouvait s’empêcher d’espérer que ce fût ceux de la bande à Hugues qui lui serviraient de réceptacle. Il imaginait qu’il se transformait en pigeon et qu’il pouvait se laisser planer en vitesse jusqu’en bas, à temps pour voir l’un des membres de cette bande d’affreux gamins recevoir l’éclaboussure sur le dessus de la tête et prendre la fuite, sans jamais se douter que c’était lui qui avait fait le coup.
    Cette bande était une petite clique de vauriens à peine adolescents qui faisaient les quatre cents coups depuis le début de ce printemps. Ils avaient déjà causé suffisamment de ravages pour qu’on cherchât à les éviter, mais pas encore assez pour attirer l’attention de la milice. Louis ne les aimait pas. Contrairement aux adultes qu’il rebutait pour la plupart, eux se collaient à ses basques en chahutant dès qu’il avait le malheur de croiser leur chemin. Une fois qu’ils étaient là, il n’y avait plus aucun moyen de s’en débarrasser, sauf si Louis pouvait se réfugier chez lui à temps, ce qui était, hélas, chose rare. Ils semblaient connaître son itinéraire et ils s’arrangeaient pour traîner dans le quartier de l’abbaye à l’heure de son retour. Immanquablement, d’autres enfants étaient attirés par ces cortèges indésirables et s’y greffaient. Cela se passait toujours ainsi. La peur collée au ventre, Louis affectait un air indifférent. Il continuait à marcher, un rien plus vite qu’à l’habitude. Il se gardait bien de se retourner vers eux, de leur dire de s’en aller et de le laisser tranquille. Cela ne servait à rien. Ne pas réagir était certes difficile, mais tenter quoi que ce soit eût aggravé les choses. Il le savait pour l’avoir déjà essayé : ils étaient trop nombreux et lui était trop fatigué pour se défendre. S’il leur montrait sa rancœur et sa colère, ils s’agitaient de plus belle autour de lui comme un gigantesque nid de frelons. Non, Louis ne pouvait absolument rien contre eux. Presque rien, en fait.
    Car ce que la bande à Hugues ignorait, c’était que Louis connaissait une issue secrète. Lorsque les enfants l’encerclaient, l’isolaient du reste du monde pour lui lancer insultes et ordures, Louis attendait. Il attendait de ne plus y penser, de ne plus voir qu’il était là. Cela exigeait de lui un certain effort. Mais, dès l’instant où il y parvenait, il cessait enfin d’avoir peur. Il pouvait commencer à s’en aller. Il s’en allait sans bouger de sa place et personne ne le savait. Les enfants ne s’en rendaient pas compte. Leurs moqueries et leurs rires ne cessaient pas ; ils se chargeaient d’échos et transformaient tout en un bruit confus, lointain, qui ne signifiait plus rien. Son corps tout entier s’engourdissait. Si des coups venaient, il les sentait à peine : Louis n’était plus là et, depuis son refuge secret, c’était lui qui riait d’eux en les regardant s’acharner sur la coquille vide qu’il avait laissée derrière lui.
    Parfois, il se disait qu’à force de faire cela, et s’il restait parti assez longtemps, il allait finir par disparaître pour de bon.
    Mais ce jour-là, du haut de la Grande Galerie, il était là, il existait. Et il était bien.
    Aux angles arrière des tours que la galerie festonnait, on avait une vue plongeante sur le toit pentu qui coiffait la basilique sur toute sa longueur, depuis l’arrière des tours jusqu’aux arcs-boutants qui s’étiraient depuis le chevet. Trois portes percées dans le mur du pignon ouvraient sur un endroit mystérieux que les gens appelaient la Forêt {15} . Louis ignorait que chacune des poutres de cette Forêt avait été taillée dans un chêne différent. À une époque où les forêts couvraient encore de vastes territoires, les grands arbres étaient nombreux et probablement déjà relativement âgés, leur bois était en outre très dense, leur croissance ayant été plus lente à cause du temps froid. Louis se demandait souvent à quoi pouvait bien ressembler cet endroit qui occupait l’espace compris entre la toiture et les voûtes de la nef et du chœur. C’était peut-être là que se trouvait le Paradis terrestre dont il avait déjà entendu parler, car, au sommet du pignon, un ange montait la garde en sonnant de la trompette pour annoncer le Jugement dernier.
    — Ça ne fait rien. J’ai un jardin bien à moi. Et tu ne me fais

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