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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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peut-être refusé de porter, la trouvant trop commune. Cependant, la ceinture de mailles d’or qui creusait sa taille étroite révélait à elle seule son degré de fortune.
    Elle avait de beaux seins et des hanches superbes. Sa sérénité s’assortissait à cette magnificence charnelle dont il semblait qu’au contraire de la plupart des femmes, elle ne tirât nul orgueil, sans qu’elle fût pour autant foncièrement bée-gueule. Elle avait dû déjà repousser des hommages un peu trop persistants et serrés.
    — Pourquoi, messire, faites-vous ce visage ? Avez-vous mal ? Voulez-vous boire quelques gorgées de grenache ?
    Il refusa de la tête. Pour boire, il eût fallu qu’elle le soutînt. Elle l’aurait entouré de son bras comme une épouse ou une fiancée. Pourquoi se lier davantage ? Il se pouvait, si par bonheur il recouvrait la mémoire, qu’Odile lui parût étrangère à sa vie.
    — Je vous sais bon gré, damoiselle, de l’intérêt que vous me portez. Peut-être, dans cette autre existence dont je ne sais rien, suis-je très différent de l’homme que vous avez en charge !
    — Je n’en disconviens pas mais, cependant, j’en doute.
    Il suggéra, la bouche amère :
    — Roland de Sangatte est peut-être un vil malandrin.
    — Non !… Non ! Cela est impossible.
    Elle le considérait avec une sorte de stupeur ou de réprobation sans toutefois oser l’admonester pour cette conjecture à laquelle il ne pouvait croire. Il allait la rassurer quand il entendit, derrière la cloison, une rumeur de voix discordantes, l’une exagérément plaintive, les autres douceâtres, confortantes. Odile satisfit sa curiosité :
    — Messire Charles de Blois a reçu pour logis la chambre contiguë à la vôtre.
    Elle approcha son oreille des lattes de chêne sombre. L’effort d’attention plissa son front ; puis l’ahurissement la fit rosir, ciller des paupières, et plutôt qu’un sourire, ce fut un frémissement qui anima ses lèvres :
    — Il adjure le Seigneur d’exhausser son âme et d’aider à sa guérison. Il se compare à saint Sébastien… Il semonce ses compagnons et leur enjoint en termes crus de s’agenouiller et de répéter ses invocations… Les voilà qui appellent saint Yves à la rescousse !
    — Quelle frainte [19] en effet !
    — Pensez-vous, messire, que dans votre demeure, vos parents, vos serviteurs et… votre épouse prient ainsi ?
    — Comment le saurais-je ?
    Odile avait décollé sa joue de la cloison. Allait-elle se montrer malveillante envers une femme dont lui-même ignorait tout ?… Non, elle n’insistait pas ; il en soupira d’aise.
    On se mit à chanter au-dessus de leurs têtes, puis on martela des talons les planches qui plafonnaient leur gîte.
    — Je suis contrariée pour vous de ce vacarme.
    Il eut un mouvement d’indifférence fausse. Doublement aiguisée par sa blessure et sa déception, son ouïe saisissait, au-delà de ces bruits et rumeurs, tout le plaisir que ces Anglais éprouvaient à vivre et à se sentir victorieux. Il y avait dans leurs voix, leurs rires, une légèreté en plein accord avec la quiétude et l’ensoleillement de cette journée. Odile lui sourit, subjuguée par cette animation joyeuse. Elle ouvrit le huvelot, non pas afin qu’il entendît mieux, dit-elle, mais pour qu’il profitât d’un ciel d’azur tout vivant d’oiseaux blancs pareils à de grands lis. Une véritable bannière.
    — Pourriez-vous me faire hisser sur le pont ?
    — L’air vif vous étourdira !
    — Il me revigorera, au contraire… Je vous le demande en grâce.
    — Soit… J’obtiendrai sûrement du capitaine deux hommes pour vous soutenir et des couvertures pour vous protéger.
    Odile disparut, laissant la porte entre-close. Le blessé prit aussitôt la mesure de sa solitude et de sa fragilité. Sans elle, il subirait bientôt des affronts, des outrages. Il pouvait aisément imaginer les contraintes et les tourments d’une condition qui, pourtant, ne pouvait passer pour avilissante puisqu’elle était la conséquence d’une guerre dont certains Anglais pâtissaient en terre de France. « Et si l’on m’échangeait ? » Impossible : il n’avait qu’un sobriquet : Roland de Sangatte ! Avant même qu’il en fût baptisé, il avait essayé maintes fois, vainement, d’exhumer les tenants et les aboutissants d’un destin dépourvu de toute enluminure. Maintenant, sur cette nef dont il ignorait le nom, la moindre

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