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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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invisible ou hostile.
    — Je ne saurais vous parler de ma femme, damoiselle. Elle s’est effacée… Elle me croit sûrement dans la fosse commune ! Elle, au moins, peut trouver dans son passé un refuge, une espérance…
    — Si vous l’aviez aimée, son visage, ses formes se seraient enfoncés dans votre mémoire comme le sceau dans la cire molle…
    Il se pouvait qu’Odile eût raison. Le vent jouait dans la frange brune qui chatouillait son front. Bientôt, elle serait tout hurlupée, mais être ébouriffée ne la chagrinait pas puisque cela semblait l’usage des Anglaises.
    Il ferma ses paupières une nouvelle fois. Comme le soleil était chaud ! Dormir sans souffrir. Oublier cette morosité qui lui collait à l’âme, tout aussi poisseuse que ses blessures. Quelles surprises, quelles effarantes visions, sans doute, quand son esprit revivifié lui livrerait, d’un coup, sa vie antérieure.
    — J’avais peur de mourir quand j’ai croisé le fer avec Cobham. Chacun de ses coups, en atteignant ma chair, écorchait aussi ma fierté… J’ai sans doute moult défauts, damoiselle Odile.
    Elle s’était agenouillée. Ils restèrent un moment silencieux, le temps de laisser libre cours à leurs pensées. Puis il fit cet aveu :
    — J’ai davantage peur de vivre en l’état où je suis que je n’ai eu peur de mourir… Cobham n’a pas fait que de m’infliger des coups, il a… comment dire ?… détroussé ma cervelle. À quoi bon vivre quand on n’est plus soi-même.
    Entre ses cils tremblants, il ne la voyait guère ; il la sentait perplexe ou peut-être troublée. Ce fut alors qu’une femme cria :
    — Ogier !… Ogier !
    Il connaissait cette voix.
    Un brusque et singulier reflux des ténèbres amoncelées dans son esprit nettoya celui-ci de son mystère et de sa mélancolie.
    — Ah ! cousin, c’est bien toi…
    Les brumes, les noirceurs, l’anxiété, la fièvre se dissipèrent sous la commotion d’un passé réapparu et comme flamboyant d’un coup. Des fantômes insaisissables subirent une résurrection si prompte, leur cohue fut si intense qu’il dut porter ses paumes à ses tempes pour amoindrir les coups d’une migraine furibonde.
    — Ogier !… Es-tu sourd ?
    C’était elle, appliquée à descendre l’escalier du château de proue.
    Tout basculait enfin. Les taies, les dernières taies aveuglantes se dissolvaient.
    — Mon crâne est traversé d’échardes lumineuses… Il semble, damoiselle, que la mémoire me revienne.
    — Vous nommez-vous ainsi ?… Ogier ?
    Odile paraissait rien moins que satisfaite.
    — C’est mon nom… Comment aurais-je pu deviner qu’il suffirait d’un appel… renouvelé si peu de fois pour me ressusciter ?… L’influence d’un mot… Un bienfaisant sortilège…
    Des bribes, des soupirs tremblaient entre ses lèvres. Il sentait moins le poids de ses membres et les brûlures de ses plaies. Il dit avec effort :
    — C’est Tancrède… ma cousine.
    — Un nom d’homme.
    Odile souriait mais ses yeux avaient la dureté de deux billes de verre.
    — Ainsi vous vous nommez Ogier.
    Elle le considérait avec une extraordinaire intensité. Il n’était plus son protégé ; il redevenait un otage.
    — Ogier, oui, damoiselle. Ma cousine a préféré l’Angleterre à la France… Moi, je suis normand… Mais j’ai passé mes enfances dans le château de mon oncle… en Périgord…
    Une ombre se penchait. Ombre familière. Du présent au passé, de la solitude à Tancrède, il était soudain, au plein sens du verbe, transporté.
    —  Tu m’as régénéré, cousine… J’avais perdu la mémoire…
    Il ne voyait, tout près du sien, qu’un visage pur, frémissant, et des cheveux bruns, longs, soyeux. Un fronteau de mailles d’or aux rivures d’argent assorti d’un mollequin d’yraigne [21] aussi légère et bleutée qu’une vapeur d’encensoir en maintenait l’ordonnance.
    — Tu n’as pas changé, cousine… excepté ta coiffure. Tes cheveux ne sont plus garçonniers !
    — D’aucuns m’eussent dit : « Tu es toujours aussi belle ! » Mais de toi, pouvais-je m’attendre à une louange meilleure ?
    Le collier de gros glands d’orfroi qui lui collait à la chair l’obligeait à lever quelque peu le menton, de sorte qu’il retrouvait dans son port de tête cette expression de souveraineté dont, souvent, il s’était irrité sans oser exprimer sa réprobation tellement cette fille le

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