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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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s’il y eut, pour cela, une rude bataille ?
    — Aucune… Moult vies humaines ont été ainsi épargnées.
    Lorsqu’il ressentait trop âprement le poids de ses anxiétés, il connaissait au moins un remède à ce désagrément – ou plutôt un palliatif : il fermait ses paupières en souhaitant de s’assoupir. Il en était pour le moment incapable.
    — Ils sont repartis sans combattre !
    — Les gens de Calais, courroucés et consternés, se sont rendus à l’Angleterre. Je n’ai pas voulu les voir. Hommes, femmes, enfants étaient, m’a-t-on dit, d’une maigreur effrayante. Tous avaient l’estomac si resserré, si racorni que plusieurs centaines sont morts pour avoir mangé trop goulûment… Je suis venue vous voir trois fois… Vos joues sont moins pâles…
    — Vous me passez à l’étamine !… Rien ne paraît vous échapper.
    Le vent sifflait dans les haubans, les mariniers hurlaient sur le pont et la grande bannière du château de poupe – lis de France et léopards mêlés – claquait à grand fracas. Lors des brèves accalmies, le seul bruit qui troublât le silence de la chambrette était celui des flots cédant sous la pression de l’étrave et les clapotements des vaguelettes dispersées par les bordages de la coque : un lourd frémissement qui fondait, fondait, pour renaître lors d’un nouveau heurt de la proue ébréchant un nouveau mur liquide.
    — Avez-vous soif ? Avez-vous faim ? J’ai tout ce qu’il faut dans mon bouge [17] .
    — Non… Mais je vous sais bon gré d’y penser.
    D’autres eussent insisté : « Il faut manger ! Prendre des forces ! » Odile n’avait proféré ni cette platitude ni aucune de celles que tant de femmes prodiguaient d’ordinaire aux malades. Il rencontrait peu son regard. Il semblait même qu’elle essayait de le lui dérober. Cependant, il était sûr qu’ils se comprenaient bien. Dans l’état où il se trouvait, il ne se sentait aucune disposition, aucune faculté pour percer les secrets de cette jeune vie. Debout, solide et tel qu’il était avant, sans doute eût-il donné à ses propos plus nombreux un accent de dilection qui l’eût apprivoisée, enchantée, peut-être énamourée. Il se pouvait que sa sollicitude fût bel et bien de la simulation ; qu’elle ne vît en lui qu’un ennemi vaincu et qu’elle regrettât maintenant de s’être inclinée pour lui prendre ce baiser dont la hardiesse le confondait… Pourquoi ressentait-il toutes ces choses avec tant d’acuité ? Si son esprit avait perdu son contenu d’images, son cœur était-il demeuré le même ? La fraîcheur, la suave mélancolie d’Odile contraignaient sa confiance et son assurance. Elle ne lui fournissait guère d’éléments susceptibles de parfaire son jugement, donc de lui accorder son estime.
    Il essaya de se dresser sur un coude. Tudieu ! comme son dos le faisait souffrir. Lorsqu’il cessait de sentir les navrures sans doute cicatrisées de ses omoplates, c’était la plaie de sa poitrine, puis celle de son flanc qui le tourmentaient. Deux échardes de feu y semblaient enfoncées.
    — Vous allez vous pâmer de nouveau si vous remuez ainsi !
    — Je vais mieux, damoiselle. Est-ce votre présence ?
    Il avait failli dire : « Est-ce votre baiser ? » Il se sentait dolent, mais sa plus grande faiblesse était d’avoir été vaincu.
    — Jamais prisonnier n’aura eu, dans sa misère et son déshonneur, une geôlière aussi avenante !
    Odile hocha la tête sans se défendre du mot qu’il avait à dessein employé afin qu’elle se regimbât contre lui. Décidément, geôlière ou non, elle demeurait un mystère, et s’il avait perdu le peu de clairvoyance qu’il croyait avoir possédé naguère, elle en semblait bien pourvue, puisqu’elle répondit :
    — Vous avez dû savoir tourner les compliments. Prisonnier , dites-vous ? Vous ne sentirez point la pesanteur de vos chaînes et serez traité avec de rares prévenances.
    — Que voulez-vous insinuer ?
    — Qu’il se peut que certains vous envient votre sort. Même des Anglais !
    Elle sourit, ses joues et ses pommettes rosirent. Comme elle était belle ! Une harmonie subtile accordait les lueurs de son regard à la fugitive douceur d’une compassion qui paraissait sincère. Un lacet de velours blanc à ferrets de cuivre maintenait sur son front quelques frisettes indociles. Sa robe ? Une futaine [18] que son épouse – puisqu’il était marié – eût

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