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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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conjecture lui paraissait absurde : il subissait et subirait le joug d’événements contraires derrière lesquels, peut-être, remuait le doigt de Dieu.
    Odile revint avec deux damoiseaux blonds qui, d’un regard et d’une moue à peu près semblables, lui révélèrent un dégoût dont elle n’eut cure.
    — Doucement, leur enjoignit-elle tandis qu’ils se disposaient à soulever le Franklin. N’oubliez pas qu’il appartient à Gauthier de Masny !
    Les garçons échangèrent un clin d’œil et l’ennemi se laissa empoigner assez rudement par le torse et les chevilles puis, lorsqu’il fut assis sur le lit, par les aisselles.
    — Souffrez-vous ? s’inquiéta la pucelle.
    — Bah !
    Autant répondre ainsi que d’avouer son mal.
    — Nous ferons de notre mieux, messire, dit le plus âgé des jeunes gens.
    Il avait, sous ses cheveux coupés à l’écuelle, une tête ronde, un peu boutonneuse, des yeux bleu clair, insolents ; une grimace de rire sous un soupçon de moustache. Il crut bon d’annoncer tant pour le prisonnier que pour sa protectrice :
    — Mon nom est Hughes Brooks, écuyer. Avec mon frère Renier, que voilà, nous avons voulu voir ce qu’était notre cité de Calais… Notre oncle, Robert Knolles, avait quelques amis là-bas. Nous y sommes demeurés un mois, juste pour assister, messire le bien-chanceux, à la déconfiture des vôtres.
    Il fallait répondre à cet outrecuidant.
    — Il y a déconfiture, messire Brooks, quand il y a bataille. Or, d’après ce que m’a dit damoiselle Odile, le roi Philippe s’est retiré en hâte… et je ne suis ni fier de lui ni fier de moi, vous pouvez me croire !
    — Voilà, dit Renier, qui est du franc-parler !
    — C’est, hormis cette épée dont on m’a fait présent, la seule arme qui me reste.
    Jamais, depuis sa perte de mémoire, il n’avait été aussi quiet et lucide ; aussi complètement détaché de cette immense armée dans laquelle, il s’en souvenait, les maréchaux et capitaines songeaient davantage à leur frisqueté [20] qu’à la victoire. Sans doute, certains jours, les avait-il détestés.
    — Aidez-moi, dit-il, à me lever. Je marcherai…
    « Marcherai », « Marchegai »… Un nom de cheval. Celui de son coursier peut-être. De penser qu’il serait porté sur le pont par les neveux d’un guerrier d’une réputation détestable ne le gênait nullement. Il s’étonnait plutôt d’avoir vu paraître dans son cerveau, dès l’énoncé du nom de Knolles, des scènes de batailles et des visages de guerriers. La mémoire allait-elle enfin lui revenir ?
    Degré après degré, Hughes devant, Renier derrière, il fut hissé sur le pont où des bourrasques l’étourdirent. Odile étendit deux couvertures sur le plancher, près d’une échiffre contre laquelle il voulut s’adosser.
    — Messires Brooks, soyez assurés que j’ai apprécié votre sollicitude.
    Il les moquait lourdement : aux douleurs éprouvées après la brève traversée de la coursive, il avait compris que ces deux-là le méprisaient. Sans doute moins parce qu’il était de France qu’en raison de l’intérêt que lui portait Odile de Winslow.
    Ils s’éloignèrent. Ses pouces crochetés près de la boucle de sa ceinture, la pucelle lui souriait. Il admira sa souple cambrure, la belle attache de son cou d’albâtre, et cette douce lumière qui, des yeux emperlés, tombait sur ses joues vermillonnées au vent. Jamais il n’avait senti une ennemie en elle. Si peu de mots qu’ils eussent échangés, c’étaient ceux de deux complices.
    — Quelle bonne chance que je vous aie rencontrée !
    Des nautoniers passaient, courant, criant, surveillant les voiles immenses. Trois picquenaires, en haut du château de poupe, jetaient des morceaux de pain dans les flots. Quelques jours plus tôt, et pour manger quelques miettes, les Calaisiens se fussent sans doute battus à mort.
    — À quoi ou à qui pensez-vous, messire ?
    — À tous ceux, damoiselle, qui ont péri autour de moi. Si seulement je me souvenais d’un visage !… Un seul… Est-ce trop demander ?
    — Un visage d’homme !… Pourquoi pas, chevalier, celui de votre épouse ?
    Il sourit, bien que le peu de sang que son corps conservait se fut mis à rouler en torrent dans ses veines. Sa conscience éprouvée répéta, coléreuse : « Ta femme ! Ta femme !… Dieu, aidez-moi à la recréer ! » Si fervente que fut cette adjuration, l’inconnue demeura

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