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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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ombre de langueur en émouvait le fond. Tancrède pouvait s’éprendre tout aussi follement d’une noguette que d’une noble dame enfermée dans une armure de religiosité, de principes et d’austères pudeurs. Si elle avait « failli » avec Dartford, c’était pour assurer sa tranquillité. Ce thane, comme on nommait ici certains barons, était le garant de sa loyauté à l’Angleterre. Il était inutile qu’elle lui confirmât ce détail.
    — Guillaume n’est pas mon père. Tu le sais.
    — Il l’ignore. Il t’a toujours aimée jusqu’à ce que tu t’enfuies, à juste raison, de Rechignac… Il t’a fait éduquer mieux que ta sœur Claresme. Y songes-tu de temps en temps ?
    — Eh oui, j’y songe !… Renonce donc, cousin, à ce ton de reproche !… J’ai une mémoire comme toi…
    Ils ne pouvaient continuer ainsi. Ces griffades intempestives auraient pour conséquence une rupture définitive qu’aucun d’eux ne souhaitait.
    Ogier soupira. Un gros soupir issu d’une peur dissipée. Tancrède lui sourit avec, dans son regard mi-clos, ce qui pouvait être de la tendresse.
    — Que peux-tu faire, mon cousin ? N’es-tu pas suffisamment empêtré de toi-même et de moult périls que tu veuilles ajouter à tes difficultés un vieillard qui te gênera ?… La mer est loin d’Ashby. Ton Calveley aussi, je présume. Les armées d’Édouard ne sont pas toutes en France et en Écosse… Les havres sont bien gardés, les nefs sont surveillées et les petites barges aussi… Tu trouveras partout des gens d’armes. Les uns parlent comme nous, les autres non…
    Elle avait tout compris sans qu’il lui eût confié ses desseins. Elle se tourna vers Odile dont l’impatience était aussi visible que le courroux :
    — Elle ne te trahira pas… Elle, au moins, je sais… plutôt j’ai su en faire une alliée. Elle m’avait mise au fait de ton évasion. Je t’ai donné raison… Oh ! bien sûr, il advient qu’elle se regimbe, mais j’en suis certaine : elle t’aidera.
    — Il faudrait, Tancrède, qu’elle y consente… Un bon conseil : défie-toi de sa sœur Éthelinde… Odile est belle et… affranchie. Tu t’en doutes et tu vois présentement tout en rose, mais il n’est si belle rose qui ne devienne gratte-cul.
    Il eût fallu, pour offenser Tancrède, une incongruité pire que celle-ci.
    — Ton conseil, cousin, me va droit au… cœur. Que vas-tu faire ?
    D’une mimique, il avoua sa perplexité.
    — J’ai vu Guillaume hier, à la mi-nuit. Je retournerai cette nuit dans ce val puant où il gîte, enchaîné jusqu’à l’aube avec le chevalier Étienne de Barbeyrac. Ce prud’homme, lui aussi, ne peut ou ne veut acquitter sa rançon.
    Il avait saisi la main de Tancrède ; elle ne s’était pas dégagée, ni d’ailleurs repliée sur la sienne. Il chercha ses yeux mais elle cilla des paupières.
    — Cousine !… Je te supplie de nous aider.
    Cette prière constituait une innovation peut-être imprudente dans ses rapports avec Tancrède. L’idée de déchoir de son estime aggravait encore son humiliation. Il fallait cependant qu’il en fût venu là.
    — Je crois que je te haïrai si tu ne nous accordes pas ton aide… J’en connais la minceur et les dangers…
    Il essayait de découvrir sur ce visage toujours pâle l’expression de consentement, voire de connivence acide qu’il y avait remarquée tant de fois, lorsqu’ils vivaient à Rechignac. Elle en était absente.
    — Où te caches-tu, mon cousin ? Tu sais, évidemment, que les Winslow te cherchent…
    — Je ne me cache pas. Je me fais passer pour un Breton de Montfort.
    — Toi, un Charlot [170]  !
    Elle rit, mais ce rire était d’une sécheresse offensante. Ses yeux grands ouverts, maintenant, avaient l’étincelant mystère de ceux des chattes. Une petite ride terrible tressaillait sur sa joue.
    — Je suis venu à Ashby, cousine, avec un manant qui servit les Winslow.
    — Je sais. Quand elle m’a parlé de toi, elle m’a parlé de lui.
    — Deux femmes nous accompagnaient. L’une nous a quittés, l’autre se meurt si elle n’est présentement morte.
    Tancrède contint sa curiosité. Il lui en sut bon gré : il n’eût pas su parler de Griselda et son émoi, indissimulable, eût peut-être aggravé le sentiment d’insignifiance où il se trouvait depuis qu’elle l’avait traité de Charlot. Il n’avait pas à se justifier, à préciser qu’il préférait le défunt Jean de

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