Le jour des reines
cet air d’autorité froide et hautaine qu’elle affectait envers lui quelques jours avant son évasion.
— Nous sommes en guerre, messire Argouges. Si ce Calveley, que je ne connais que par sa haute taille, vient à Ashby, il ne vous sera d’aucune aide. En guerre, messire, il ne saurait être question de bons et loyaux sentiments. Non seulement il est indigne de vous d’avoir fui ma protection, mais…
— Votre protection ?
Odile eut un geste coupant :
— Laissez-moi parler !… Il est… répugnant, pour un baron de votre espèce, de vous momer [168] en huron !… Vous devez d’être en vie aux Anglais…
— Je dois ma presque mort à Renaud de Cobham.
— Vous étiez aussi, à Sangatte, habillé comme maintenant !… Le chevalier de Cobham s’est mépris…
— Parce que selon vous, damoiselle, les gens de pied, ceux des campagnes et des hameaux, ceux des villages et des cités que les seigneurs et le roi convient instamment à la guerre, peuvent être occis férocement ?… Ce n’est pas, à ce qu’il me semble, l’opinion d’Édouard III !… Il est de l’autre côté des murailles ; allez donc la lui demander !
Odile s’indigna d’être prise au piège. Tancrède l’entraîna sous les arbres, loin du chemin encombré par une compagnie d’archers. Ogier vit le clin d’œil complice de sa cousine. Il signifiait : « Ne la contrarie pas. » Mais Odile s’obstinait dans sa diatribe, et sa voix chuintait tant était grand l’effort qu’elle faisait pour baisser le ton à la demande de Tancrède.
— La France, messire Argouges, mon beau-frère y est allé, vous le savez…
— Cela vous arrangeait… et surtout Éthelinde.
Ogier ne put savoir si l’allusion à une singulière connivence avait atteint son but. Tancrède même, qui tapotait l’épaule de la jouvencelle, semblait n’en avoir pas deviné l’essentiel.
— Mon père y est allé aussi… Ce royaume ne vaut rien !
Selon Odile, c’était la France qui, en refusant d’accepter le roi Édouard III pour souverain, avait déclaré la guerre à l’Angleterre. C’était la France qui, monstrueuse mère, avait laissé mourir de faim les Calaisiens. Peu à peu, emportée par sa propre éloquence, elle gesticulait d’un bras, l’autre étant prisonnier de l’étreinte de Tancrède. Ses joues devaient la cuire et ses nerfs se distendre cependant que, dans son plaidoyer pro domo, revenait à intervalles réguliers l’expression sacramentelle de tout Goddon : la France n’était qu’une féale dissipée de l’Angleterre ; rien d’autre.
— Je sais, dit-elle en s’apaisant, que des otages se disculpent de leur fuite en invoquant de mauvais traitements. Mais c’est pure calomnie. Avez-vous, messire, été malmené à Calais ? N’ai-je pas soulagé et guéri vos navrures, particulièrement à Winslow, en compagnie d’Éthelinde ?
— Je vous concède ce point, dit Ogier en ébauchant un sourire dépourvu d’alacrité. Mais…
— Mais quoi ? fit Odile avec une sécheresse qui la décrivait toute.
— Vous pouvez, damoiselle, aller voir comment certains otages sont traités ici même. Entre Ashby et ce château, il existe un val où certains prisonniers et barons rétifs à l’acquittement de leur rançon se trouvent rassemblés pour la nuit après qu’ils ont œuvré aux travaux du champ clos…
Il fut tenté de se tourner vers Tancrède et de lui confier : « Ton père en fait partie », mais il s’abstint dans l’espérance d’une opportunité meilleure.
— Eh bien, on les a mis près de la fosse à merde !
Il jouit, un moment, du silence qu’il avait provoqué, puis fort de son bon droit, il reprit doucement :
— J’ai fui Winslow, damoiselle, parce que votre père me voulait faire occire. Si vous interrogez Lynda, elle ne me contredira pas… Elle en parlait au lit avec messire Arthur cependant que, sous le plancher, vous vous entreteniez d’amour avec Éthelinde, d’une particulière façon.
Odile devina qu’il les avait observées. D’un sourire, il la rassura. Il n’en dirait pas davantage. Tourné vers Tancrède, il s’informa, en quête d’une confirmation :
— Es-tu venue avec Lionel de Dartford ? (Et comme elle sourcillait.) Tu avais prononcé son nom, à Sandwich, avant de m’abandonner aux bons soins d’Odile.
— Ta mémoire est bonne, cousin !
C’était dit d’un ton morose et détaché qui parut satisfaire Odile.
— Un
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