Le jour des reines
de Tancrède. N’eût-il point fait allusion à une réciprocité dans un service dont elle lui définirait bientôt la nature, qu’elle eût renoncé à se compromettre.
— Je peux, dès la vesprée, amener mon cheval auprès des vôtres. Si vous guerpissez à la mi-nuit, vous aurez mis, à l’aube, quelques lieues entre Ashby et vous… C’est tout ce que je puis faire.
C’était peu. Elle ne s’en montrait pas contrariée.
— Sur la selle de Bucéphale – rassure-toi, cousin, ce coursier ne craint pas l’ombre –, j’accrocherai un bissac de nourriture que Margaret, ma chambrière, préparera.
— Je t’en sais bon gré : l’escarcelle de Shirton est vide. Il voulait être du concours d’archerie, mais s’abstiendra d’y prendre part.
— Quel dommage, cousin, que tu ne puisses participer à ce grand pardon d’armes… On dit que Cobham, Dartford et Brackley vont chacun lancer un défi. Sans armes ébiselées, sans lances rochetées, mais lames et pointes de guerre. Leur renommée paraît si grande qu’aucun chevalier ne les voudra vaincre… et j’en suis consternée.
Ogier imagina le plaisir qu’il eût éprouvé à relever le défi de Cobham. D’un mouvement d’épaule, Tancrède parut rejeter un fardeau :
— Dartford est un porc. Il tient à me prouver sa force. Il exulte de la montrer au roi dont il espère un commandement en Guyenne. J’aime l’Angleterre ; j’aime Londres et veux y demeurer… Ce malandrin entend me mener à coups de caveçon… Il sait que je le hais…
— Depuis qu’il a meurtri…
— Armide, ma bien-aimée compagne… Si je me regimbe un peu trop, il n’hésitera pas à me faire occire… Il me laisse, à Ashby, toute ma liberté car notre liaison passe ainsi presque inaperçue. Je ne veux pas revenir à Dartford. Ses hommes ne pourront m’y contraindre car j’ai gagné leur chef. Il me faut les quitter tous astucieusement. Tu vois : j’ai moi aussi des rêves d’évasion !
— Viens avec nous.
— C’est, cousin, une proposition qui m’honore.
Tancrède souriait, alléchée. Ogier fut tenté de lui rendre son sourire assorti d’une constatation : « Voilà, cousine, où t’ont menée tes inconduites. » Or, un tel commentaire eût nui au développement d’un entretien affable dont, pourtant, il n’espérait plus rien.
— Pars avec nous, cousine !
Jamais elle ne lui avait paru si belle, donc si vulnérable dans ses riches atours. Elle les portait avec une simplicité, un éclat que maintes femmes devaient lui envier. Même Odile et Éthelinde !… Fille de Blanquefort, le sénéchal de Guillaume ? Il avait accepté parfois cette opinion sans cesser de douter de sa véracité. Il vit les longs doigts immobiles et nus de sa cousine se porter sur la petite croix d’un collier d’orfroi.
— J’aimerais vous suivre…
— Un seul cheval en sus… Je te prendrai en croupe.
Tancrède courba le front avec une sorte de résignation incompatible avec sa nature.
— Avant que de partir avec toi, avec vous, j’aimerais te voir pourfendre Lionel de Dartford.
Ogier regarda sa cousine en face. Comment pouvait-elle imaginer cela ? Non seulement c’était une chose impensable , mais elle la savait infaisable !
— Relever son défi serait me condamner. Mais si je le pouvais, en une autre occasion, je meurtrirais Dartford moins pour te prouver ma bachelerie [193] que pour te délivrer de cet homme.
Il glissait sur une pente roide sans savoir, présentement, où s’accrocher. Le passé, leur passé, envahit sa mémoire :
— Pourquoi, quelques mois après notre séparation, es-tu allée à Gratot ?
— Je venais de Bretagne avec quelques routiers…
— Au service des Goddons.
Tancrède enfonça ses poings dans ses hanches. C’était un de ses mouvements familiers ; à vrai dire un geste d’homme accoutumé à commander. Ogier en éprouva un sentiment de mésaise.
— Les routiers, cousin, n’appartiennent qu’à eux-mêmes. Ils s’allient et se délient selon l’état de leur patrimoine commun. Je te voulais pour capitaine. C’est dans cette intention que je suis passée à Gratot.
— Tu avais Hervé Gleyze… ou Eyze avec toi. Qu’est-il devenu ?
— Un Breton me portait alors moult intérêt. Il a pris ombrage de l’amour que cet enfant me vouait. Ils se sont défiés. Hervé n’a pas tenu plus’ de vingt coups d’épée… Hervé Eyze, cousin, car la glaise, il est
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