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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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son manteau au-dessus des chevilles, une jeune femme franchissait le pont-levis en courant, sous les regards de deux picquenaires adossés au chambranle de la porte charretière.
    — Éthelinde !… On dirait, par ma foi, qu’elle a le feu au cul !
    Les cheveux décoiffés, la mine négligée, blafarde, Éthelinde semblait une fugitive poursuivie par une meute. Telle une hamadryade effarouchée par le petit jour, elle disparut sous les arbres.
    — Puisque son épouse est demeurée à Winslow et qu’il a dû passer la nuit chez les ribaudes, Arthur ne s’apercevra de rien… D’où crois-tu qu’elle sort, compère ?… De la chambre de ta cousine ?
    — Odile, à ce que j’ai cru comprendre, loge au château.
    — Eh bien, elles y ont accueilli Éthelinde !
    Ogier refusa d’acquiescer. Si Shirton disait vrai, c’était que sa cousine était devenue folle. De tout temps, afin d’exciter sa jalousie de mâle et sa convoitise, elle s’était fait une arme du mépris qu’il avait pour des jeux dans lesquels elle devait exceller. Après les accommodements auxquels Shirton faisait allusion, peut-être avait-elle obtenu des deux sœurs, à défaut de leur complicité pour une évasion difficile, un silence qui la favoriserait.
    — Lionel de Dartford, qui couche sous la tente, a permis, à son insu, ces liesses que peut-être il ne réprouve pas… puisque son épouse, avant de mourir, était la bonne amie de ma cousine…
    Ogier ne parvenait pas à croire entièrement à ce qu’il avait vu. Sans lui déplaire et l’irriter, le sourire de Shirton lui donnait des agaçins dans la tête. Sous l’afflux du sang qui lui battait les tempes, son oreille mutilée le brûlait.
    — Si ce à quoi nous songeons s’est produit, Tancrède sera notre alliée. Le… reste, par ma foi, est de peu d’importance.
    Il mentait et Shirton en était conscient. Belle, désirable, Tancrède se corrompait à plaisir dans des bacchanales dont elle eût dû rougir mais qui, au contraire, tout en lui donnant plus d’aplomb, plus d’audace, rehaussaient sa vénusté. En découvrant si peu que ce fut Éthelinde et Odile enlacées, il avait imaginé toutes les frénésies dont sa singulière cousine était friande ; cette chute, ces convulsions, ces étourdissements dans ce qu’il ne pouvait appeler de l’amour, sans que le mot luxure atteignît son esprit. Eh bien, toutes les salacités qu’il pouvait imaginer, ces trois grâces s’en étaient repues. Il venait d’entrevoir une Éthelinde effrayée, pâle et vergogneuse ; une Éthelinde qui, plutôt que le château, semblait fuir sa propre ignominie. Et Tancrède et Odile dormaient, les paupières bleuies d’une fatigue insane.
    — Ces femelles… grommela Shirton. Il faut qu’il ait été fou, Dartford, pour avoir partagé sa femme.
    — En la partageant, il en obtenait deux.
    L’archer eût pu sourire. Il cracha :
    — Tu pourrais rebaudir ces chiennes ? Tu pourrais, toi, burtebiller [184] une… une brebis comme celle qui vient de quitter le troupeau ?
    — Qui sait ? Dans l’état d’abstinence où je suis, ma houlette, parfois me démange.
    Ils rirent sans se contraindre. S’ils s’étaient mécontentés l’un l’autre, leur discorde avait cessé. Ils tendirent leur visage et leurs mains au soleil dont les braises glacées se transmutaient en or.
    — Que vas-tu faire avant que ta cousine sorte ?
    Ogier haussa les épaules et leva les yeux sur l’énorme donjon en haut duquel pendait une bannière inerte, d’un rouge pâle et sali par les vents.
    — Pourquoi pas le tour des murailles pour me dégourdir les jambes ? Les hôtes d’Ashby commencent à s’éveiller… ceux tout au moins dont la nuit fut paisible… Il doit y avoir des enfants matineux quelque part…
    — C’est vrai… Et l’on dirait qu’ils s’ébaudissent.
    Des rires, des crécelles retentissaient un peu plus loin ; non pas une bruyante risée, un charivari qui les eussent incommodés, mais des ricanements, la plupart étouffés, espacés parfois d’un assez long silence, et qui reprenaient, piquetés des piailleries et caquets d’au moins deux jouvencelles.
    — Il semble qu’ils soient derrière la grosse tour. Je te dirai, au retour, la raison de cette gaieté. Le fossé me paraît peu rempli et trop gluant pour qu’ils s’y baignent. Et d’ailleurs, il fait trop froid !
    Ogier, d’un pas traînant, s’éloigna.
    Deux jours encore et il galoperait,

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