Le jour des reines
Le vent les chatouillait à petits coups de langue. La nature, elle aussi, suait de volupté.
— Non ! dit-il faiblement.
Si son esprit se regimbait encore, son être tout entier se résignait. Consentait. Il n’était plus en état de se défendre : il n’en avait plus envie. Pauvreté que cette volonté dont il s’était cru pourvu. Piteuse défaite que cette acceptation d’un délice dont il sentait la venue. Dans sa chair tout entière rayonnait une liesse chaude, moelleuse, sans cesse augmentée, aussi chatoyante que le clair de lune, et qui se dilatait par longues bouffées indolentes.
Il referma les yeux, sentant monter du fond de ses entrailles les frissons capiteux et les émois sacrés dont le fusionnement le rendait à lui-même… Et après tout, si cela ravissait Griselda… Certains pécheurs et pécheresses se rédimaient par le repentir, d’autres par excès de zèle.
Il entendit le rire d’Élisabeth – un rire lascif, apprêté –, puis les chuchotements de Shirton, et fut heureux que son râle s’y mêlât.
« Hypocrite », se dit-il, sordide et nettoyé.
Le remords tant redouté restait dans l’ombre.
La tête de Griselda revint se nicher contre son épaule. Le soupir qu’elle exhala ressemblait à celui d’un ange.
II
Ogier s’éveilla. Il était seul sous la peau de mouton. Shirton sellait le louvet. Le Noiraud et le pommelé étaient prêts, les charges réparties sur chacun des chevaux.
— Où sont-elles ?
— Il y a un ruisseau plus bas… une mare assez propre plus haut.
Ogier redressa ses bras et ses jambes aux os longs et fins, et s’étira en bâillant. Il marcha en sens inverse du ruisseau, suivi d’en haut par Tom, curieux et fidèle. La mare, immobile, frémit et se tavela sous des bondissements de grenouilles. L’eau n’en était point claire. N’importe : il en emplit ses paumes rêches, sèches, et frotta frénétiquement son visage. Ce serait tout. Pas le temps de se mettre nu : il entendait les voix des « femmes ». Comment les aborderait-il ?
D’emblée, il sut qu’elles s’étaient dispensées d’échanger des confidences. Griselda baissa le front, Élisabeth eut un mouvement précipité vers le col de sa robe.
— Il fait chaud, mentit-elle.
Elle avait de beaux seins. Shirton leur jeta un regard avaricieux :
— Cache-les !
Puis, en serrant la ventrière du louvet :
— Ogier, tu reprends le moreau. Griselda montera en croupe. Moi, je prends celui-ci. Élisabeth aura l’autre.
Cela ressemblait fort à un commandement. Ogier l’accepta. S’approchant de l’archer, il lui dit à voix basse :
— Jack. Tu me bailleras quelques esterlins : il faut vêtir Griselda.
Il était prêt à engager, pour obtenir satisfaction, son anneau de mariage. Ce fut inutile : Shirton acceptait.
— Il nous faut les vêtir convenablement toutes deux, mais sans trop puiser dans mon sporran [101] .
Ils partirent, la face vide de sentiments, le regard égaré dans la cohue des châtaigniers et des chênes où les clartés s’endormaient. Parfois Shirton bâillait d’ennui ou de fatigue. Ogier, ceinturé à deux bras par Griselda, muette et frissonnante, ne tardait guère à l’imiter.
Il y avait un marché sous la halle du premier village qu’ils traversèrent. Ils nouèrent la bride des chevaux à l’un des anneaux fixés aux poutres de soutènement. Ogier voulut demeurer sur place tandis que Shirton s’éloignait d’un côté pour acheter la nourriture, les femmes de l’autre pour se pourvoir en vêtements chez un fripier dont, de loin, Élisabeth avait aperçu l’étal. Tous revinrent ensemble, portant enfardelés dans de mauvaises pièces d’étoffe nouées aux quatre coins, l’homme, les victuailles ; les femmes, les manteaux et les robes. Le ballot d’Élisabeth était d’une grosseur double de celui de Griselda, qui n’en semblait point marrie. Dans sa gonne de tiretaine rousse, passée sur ses haillons, elle affectait un air de bourgeoise aisée.
Ils repartirent. Serrée, voire bridée dans une robe de cariset vert amande, la taille soulignée par une cordelette, Élisabeth prit une attitude plus droite et bavarda.
Shirton lui souriait parfois sans prêter, semblait-il, trop d’attention à ses propos.
— Tu me trouves plus avenante ? demanda Griselda.
Elle s’était gardée d’employer le mot belle. Ogier en fut touché. Il répondit affirmativement de la tête tandis que son regard
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