Le Journal D'Anne Frank
où elle est allée samedi. La cousine en question a des parents riches, le fiancé est un garçon aux parents encore plus riches. Miep nous a mis l’eau à la bouche en nous décrivant le repas qu’ils ont eu : potage de légumes aux boulettes de viande, fromage, petits pains à la viande, hors-d’œuvre, avec œufs et rosbif, petits pains au fromage, gâteau moscovite, vin et cigarettes, le tout à volonté.
Miep a bu dix verres de genièvre et fumé trois cigarettes ; et ça se prétend antialcoolique ? Si Miep a déjà tant consommé, on peut se demander ce que son époux s’est envoyé ! Ils étaient naturellement tous un peu gris à cette fête : il y avait deux agents de la section criminelle de la police, qui ont pris des photos du couple ; tu vois que Miep ne peut oublier une minute le sort des clandestins, car elle a aussitôt retenu le nom et l’adresse de ces policiers, au cas où il arriverait quelque chose et que l’on ait besoin de bons Néerlandais.
Elle nous a tellement mis l’eau à la bouche, nous qui n’avons eu pour notre petit déjeuner que deux cuillerées de flocons d’avoine, et dont le ventre criait famine, nous qui, jour après jour, ne mangeons que des épinards à moitié cuits (pour les vitamines !) et des pommes de terre pourries, nous qui n’emmagasinons dans nos estomacs creux que de la salade, de la salade cuite, des épinards, des épinards et encore des épinards. Peut-être finirons-nous par devenir un jour aussi forts que Popeye, bien que je n’en voie pas encore beaucoup de signes ! Si Miep nous avait emmenés à ces fiançailles, il ne serait rien resté des petits pains pour les autres invités. Si nous avions été à cette fête, nous aurions sûrement tout mis au pillage et nous n’aurions même pas laissé les meubles à leur place ! Je peux te dire que nous buvions les paroles de Miep, que nous l’entourions comme si de notre vie, nous n’avions jamais entendu parler de bonnes choses ou de gens chics ! Et voilà les petites-filles du fameux millionnaire, décidément les choses tournent drôlement dans le monde !
Bien à toi,
Anne M. Frank
MARDI 9 MAI 1944
Chère Kitty,
L’histoire d’Ellen, la fée, est terminée. Je l’ai recopiée sur du beau papier à lettres, décorée à l’encre rouge et j’ai cousu les feuillets. Le tout a assez bonne allure, mais je me demande si ce n’est pas un peu maigre. Margot et Maman ont composé chacune un poème d’anniversaire.
M. Kugler est monté cet après-midi nous annoncer qu’à partir de lundi, Mme Broks veut venir ici chaque après-midi prendre le café à deux heures. Tu te rends compte ! Personne ne pourra plus monter, on ne pourra plus nous apporter de pommes de terre, Bep n’aura pas à manger, nous ne pourrons pas aller aux toilettes, nous n’aurons plus le droit de bouger et d’autres inconvénients ! Nous avons présenté les propositions les plus diverses pour la décourager. Van Daan a suggéré qu’un bon laxatif dans son café suffirait peut-être. « Ah non, a répondu Kleiman, tout sauf ça, on ne pourrait plus la faire sortir des goguenots ! »
Rires tonitruants. « Des goguenots ? demanda Madame, qu’est-ce que ça veut dire ? » L’explication suivit. « Et je peux l’employer tout le temps ? » demanda-t-elle alors ingénument. « Quelle idée, pouffa Bep, si vous demandiez au Bijenkorf(1) où sont les goguenots, ils ne comprendraient même pas ! » Dussel s’installe maintenant « sur les goguenots », pour conserver l’expression, à midi et demi pile, cet après-midi j’ai pris bravement un morceau de papier rose et y ai écrit : horaire de service des W.C. pour M. Dussel.
Le matin 7 h 15 – 7 h 30
L’après-midi à partir de une heure
ensuite à volonté !
J’ai fixé ce mot sur la porte verte des toilettes pendant qu’il y était encore, j’aurais pu ajouter : « Toute infraction à cette loi sera punie d’emprisonnement ! »
Car on peut fermer nos toilettes du dedans et du dehors.
Dernière bonne blague de Van Daan :
Inspiré par ses leçons sur la Bible et Adam et Eve, un garçon de treize ans demande à son père : « Dis-moi, papa, comment je suis né au juste ? » « Eh bien, répond le père, la cigogne t’a péché dans la mer, t’a déposé dans le lit à côté de maman et l’a piquée très fort à la jambe. Ça l’a fait saigner et elle a dû rester couchée plus
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