Le Journal D'Anne Frank
dans la pièce en tenant sa ceinture à la main comme un dompteur. Mais Madame ne l’a pas suivi, elle est restée assise devant le bureau en cherchant un mouchoir. « Tu dois d’abord me présenter des excuses ! » « Bon, eh bien, je te présente mes excuses, sinon on va encore perdre du temps ! » Malgré elle. Madame n’a pu s’empêcher de rire, elle s’est levée et dirigée vers la porte. Là, elle s’est sentie tenue de nous donner d’abord des explications. (Nous, c’est-à-dire Papa, Maman et moi, nous faisions la vaisselle.)
« A la maison il n’était pas comme ça, dit-elle, je lui aurais donné une tape à lui faire dégringoler l’escalier (!), il n’a jamais été aussi insolent, il a eu droit à bien d’autres coups, voilà l’éducation moderne, les enfants d’aujourd’hui, je n’empoignerais pas ma mère comme ça, est-ce ainsi que vous vous conduisiez avec votre mère, monsieur Frank ? » Elle était tout excitée, marchait de long en large, posait toutes sortes de questions, disait toutes sortes de choses et en attendant ne montait toujours pas. Enfin, enfin elle s’éclipsa.
Elle n’était pas là-haut depuis plus de cinq minutes qu’elle dévalait de nouveau l’escalier, les joues gonflées, jetait son tablier et comme je lui demandais si elle avait déjà fini, elle répondit qu’elle descendait un instant et elle dégringola comme une trombe tous les étages, probablement pour se jeter dans les bras de son Putti.
Elle n’est plus remontée avant huit heures, son mari l’accompagnait, on est allé chercher Peter au grenier, on lui a passé un savon à tout casser, quelques injures, malotru, bon à rien, malpoli, mauvais exemple, Anne est, Margot fait, je n’ai pu en saisir plus.
Aujourd’hui, ils se sont probablement rabibochés !
Bien à toi,
Anne M. Frank
P.-S. Mardi et mercredi soir, notre reine bien-aimée a parlé, elle prend des vacances pour pouvoir revenir aux Pays-Bas avec des forces renouvelées. Elle a dit des choses du genre : « bientôt lorsque je serai revenue, libération rapide, héroïsme et lourdes épreuves ».
Son discours a été suivi d’un speech de Gerbrandy, cet homme a une petite voix d’enfant si zézayante que Maman n’a pas pu s’empêcher de faire « Oh ! ». Un pasteur, qui a volé sa voix à M. Edel, a conclu la soirée en demandant à Dieu de protéger les juifs, les gens qui sont dans les camps de concentration, les prisons et en Allemagne.
1 L’enlèvement de la mère (en allemand dans le texte).
JEUDI 11 MAI 1944
Chère Kitty,
Comme j’ai oublié là-haut toute ma « boîte à fourbi » et par conséquent aussi mon stylo, et que je ne veux pas les déranger pendant leur sieste (deux heures et demie), tu devras te contenter cette fois d’une lettre au crayon.
Je suis absolument débordée en ce moment et, si curieux que cela puisse paraître, le temps me manque pour venir à bout de cette montagne de travail. Veux-tu que je te raconte en deux mots tout ce que j’ai à faire? Eh bien, d’ici à demain je dois terminer le premier volume de l’histoire de la vie de Galilée, parce qu’il doit retourner à la bibliothèque. Je l’ai commencé hier, j’en suis à la page 220 et il en a 320, donc j’arriverai à le finir. La semaine prochaine, je dois lire La Palestine à la croisée des chemins et le deuxième volume de Galilée. En plus, j’ai terminé hier la première partie de la biographie de l’empereur Charles Quint et il faut absolument que je mette au net les annotations et les arbres généalogiques que j’en ai tirés en abondance. Ensuite j’ai trois pages pleines de mots étrangers extraits de différents livres, qui doivent être notés et appris. Le numéro quatre est que toutes mes stars de cinéma sont dans un fouillis indescriptible et n’aspirent qu’au rangement, mais comme un tel rangement prendrait plusieurs jours et que le professeur Anne, je l’ai dit, croule sous le travail, le chaos restera chaos. Et puis Thésée, Œdipe, Pelée, Orphée, Jason et Hercule attendent une remise en ordre, étant donné que certains de leurs exploits s’enchevêtrent dans ma tête comme des fils multicolores dans une robe, Myron et Phidias eux aussi doivent absolument subir un traitement pour leur éviter de se détacher de leur contexte. Il en va de même pour les guerres de Sept et de Neuf Ans, par exemple, de la façon dont je m’y prends
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