Le Journal D'Anne Frank
à la figure me ronge toujours. Comme il est difficile d’être vraiment forte et courageuse à tous les points de vue !
Pourtant ce n’est pas la raison de ma plus grande déception, non, bien plus que Papa, c’est Peter qui me préoccupe. Je sais très bien que c’est moi qui ai gagné son cœur plutôt que le contraire, j’ai fait de lui un personnage idyllique, j’ai vu en lui le garçon silencieux, sensible, gentil qui a tant besoin d’amour et d’amitié ! J’ai éprouvé le besoin de me confier à un être vivant, j’ai voulu avoir un ami qui m’aide à retrouver le chemin, j’ai fait tout le travail difficile et je me suis arrangée pour que, lentement mais sûrement, il se tourne vers moi.
Quand j’ai enfin réussi à lui faire éprouver des sentiments amicaux envers moi, nous sommes parvenus involontairement à une intimité qui, à la réflexion, me paraît inouïe. Nous avons parlé des choses les plus secrètes, mais nous avons tu jusqu’à maintenant les choses dont mon cœur était, et est encore, empli. Je n’arrive toujours pas à me faire une idée de Peter, est-il superficiel ou est-ce sa timidité qui le retient même vis-à-vis de moi ? Mais cette question mise à part, j’ai commis une erreur en excluant tout autre type d’amitié et en me rapprochant de lui de manière intime. Il a un terrible besoin d’amour et je lui plais chaque jour davantage, je m’en rends très bien compte. Nos rencontres le satisfont pleinement ; chez moi, elles ne font qu’accentuer mon besoin de réessayer encore et encore pour finalement ne jamais aborder les sujets que j’aimerais tant soulever. J’ai attiré Peter de force, bien plus qu’il ne le croit, à présent il s’accroche à moi et je ne vois pas pour l’instant de moyen satisfaisant pour arriver à le détacher et le laisser voler de ses propres ailes. Quand je me suis aperçue, très vite en fait, qu’il ne pouvait être un ami au sens où je l’entends, j’ai lutté pour au moins lui ôter son étroitesse d’esprit et l’aider à s’affirmer dans sa jeunesse.
« Car fondamentalement, l’enfance est plus solitaire que la vieillesse. » Cette affirmation tirée de je ne sais plus quel livre m’est restée en tête et je l’ai trouvée juste.
Est-il vrai que la situation est plus pénible ici pour les adultes que pour les jeunes ? Non, c’est certainement faux. Les personnes d’âge mûr ont leur opinion faite sur tout et ne s’avancent plus dans la vie d’un pas mal assuré. Nous, les jeunes, nous avons deux fois plus de mal à maintenir nos opinions à une époque où tout idéalisme est anéanti et saccagé, où les hommes se montrent sous leur plus vilain jour, où l’on doute de la vérité, de la justice et de Dieu.
Celui qui continue encore à prétendre que la situation, ici à l’Annexe, est beaucoup plus pénible pour les adultes ne se rend certainement pas compte de l’énorme quantité de problèmes qui nous assaille, des problèmes pour lesquels nous sommes peut-être beaucoup trop jeunes, mais qui pourtant s’imposent à nous jusqu’au moment où, bien plus tard, nous croyons avoir trouvé une solution, une solution le plus souvent inefficace face aux armes qui la réduisent à néant. Voilà la difficulté de notre époque, les idéaux, les rêves, les beaux espoirs n’ont pas plus tôt fait leur apparition qu’ils sont déjà touchés par l’atroce réalité et totalement ravagés. C’est un vrai miracle que je n’aie pas abandonné tous mes espoirs, car ils semblent absurdes et irréalisables. Néanmoins, je les garde car je crois encore à la bonté innée des hommes. Il m’est absolument impossible de tout construire sur une base de mort, de misère et de confusion, je vois comment le monde se transforme lentement en un désert, j’entends plus fort, toujours plus fort, le grondement du tonnerre qui approche et nous tuera, nous aussi, je ressens la souffrance de millions de personnes et pourtant, quand je regarde le ciel, je pense que tout finira par s’arranger, que cette brutalité aura une fin, que le calme et la paix reviendront régner sur le monde. En attendant, je dois garder mes pensées à l’abri, qui sait, peut-être trouveront-elles une application dans les temps à venir !
Bien à toi,
Anne M. Frank
VENDREDI 21 JUILLET 1944
Chère Kitty,
A présent, je suis pleine d’espoir, enfin tout va bien. Tout va même très bien ! Superbes
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