Le Journal D'Anne Frank
marqué, qui doit frapper tous ceux qui me connaissent depuis un certain temps : ma connaissance de moi-même. Je peux étudier tous mes actes comme s’il s’agissait d’une étrangère. Sans aucun préjugé et sans une foule d’excuses toutes prêtes, je me place en face de l’Anne de tous les jours et observe ce qu’elle fait de bien, de mal. Cette conscience de moi-même ne me quitte pas et à chaque mot que je prononce, je sais au moment précis où je le dis : « Il aurait fallu m’exprimer autrement », ou : « C’est très bien comme cela ! », je me juge sévèrement sur une quantité de choses et je m’aperçois de plus en plus à quel point les paroles de Papa étaient justes : « Chaque enfant doit s’éduquer lui-même. »
Les parents ne peuvent que donner des conseils ou de bonnes indications, le développement ultime de la personnalité d’un individu repose entre ses propres mains. A part cela, j’ai un courage de vivre exceptionnel, je me sens toujours si forte et capable d’endurance, si libre et si jeune ! Quand j’en ai pris conscience, j’étais heureuse car je ne crois pas que je courberai vite la tête sous les coups que chacun doit subir.
Mais j’ai déjà tant parlé de ces choses-là, aujourd’hui je veux juste aborder le chapitre : Papa et Maman ne me comprennent pas. Mon père et ma mère m’ont toujours beaucoup gâtée, ont été gentils envers moi, m’ont défendue face à ceux d’en haut et ont fait, en somme, tout ce qui était en leur pouvoir de parents. Pourtant, je me suis longtemps sentie terriblement seule, exclue, abandonnée, incomprise ; Papa a essayé tous les moyens possibles pour tempérer ma révolte, rien n’y faisait, je me suis guérie toute seule, en me confrontant moi-même à mes erreurs de conduite. Comment se fait-il que Papa ne m’ait jamais été d’aucun soutien dans ma lutte, qu’il soit tombé tout à fait à côté quand il a voulu me tendre la main ? Papa n’a pas employé le bon moyen, il m’a toujours parlé comme à une enfant qui devait traverser une crise de croissance difficile. C’est drôle à dire, car personne d’autre que lui ne m’a donné le sentiment d’être raisonnable. Mais il a cependant négligé une chose, il ne s’est pas aperçu qu’à mes yeux, ma lutte pour dominer la situation primait tout le reste. Je ne voulais pas entendre parler d’« âge ingrat », d’« autres filles », de « tout finira par s’arranger », je ne voulais pas être traitée comme une fille semblable à toutes les autres mais comme Anne telle qu’elle est, et Pim ne le comprenait pas. D’ailleurs, je ne peux pas accorder ma confiance à quelqu’un qui ne se confie pas pleinement et comme je ne sais rien de Pim, je ne pourrai pas m’engager dans la voie d’une relation intime entre nous, Pim adopte toujours le rôle du père plein de maturité, ayant lui aussi éprouvé ces mêmes penchants passagers, mais qui, face aux problèmes des jeunes, ne peut plus se placer sur le plan de l’amitié, même en se donnant beaucoup de mal. Aussi ai-je décidé de ne plus confier à personne d’autre qu’à mon journal et de temps en temps à Margot mes conceptions sur la vie et mes théories mûrement réfléchies. J’ai caché à Papa tout ce qui me troublait, je ne lui ai jamais fait part de mes idéaux, je l’ai volontairement et consciemment écarté de moi. Je ne pouvais pas faire autrement, j’ai agi en accord total avec mes sentiments, j’ai agi en égoïste, mais j’ai agi de façon à trouver une paix intérieure. Car cette paix et cette confiance en moi que j’ai bâties comme un château branlant s’écrouleraient complètement s’il me fallait maintenant affronter une critique de mon travail inachevé. Et même pour Pim, je ne peux m’y résoudre, aussi dur que cela puisse paraître, car non seulement je ne lui ai pas laissé partager ma vie intérieure, mais par mon irritabilité je le repousse souvent plus loin de moi encore.
Voilà un point qui me préoccupe souvent : comment se fait-il que Pim m’agace parfois autant ? Que j’aie de plus en plus de mal à faire mes devoirs avec lui, que ses cajoleries me semblent artificielles, que je veuille avoir la paix et que je préférerais qu’il ne s’occupe plus trop de moi, tant que je n’ai pas pris de l’assurance vis-à-vis de lui ? Car son reproche à propos de la méchante lettre que dans mon excitation j’ai osé lui envoyer
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