Le Journal D'Anne Frank
occasionnel, une chose vite oubliée, pas mauvaise mais pas bonne non plus. Cela m’est très désagréable d’avoir à te le dire, mais pourquoi ne le ferais-je pas, puisque je sais que c’est la vérité ? Mon côté insouciant, superficiel, devancera toujours mon côté profond et c’est pourquoi il aura toujours le dessus. Tu ne peux pas t’imaginer combien de fois j’ai essayé de repousser, de changer radicalement, de cacher cette Anne, qui n’est que la moitié de celle qui porte le nom d’Anne, je n’y arrive pas et je comprends aussi pourquoi.
J’ai peur que tous ceux qui me connaissent telle que je suis toujours ne découvrent mon autre côté, le côté plus beau et meilleur. J’ai peur qu’ils se moquent de moi, me trouvent ridicule, sentimentale, ne me prennent pas au sérieux. J’ai l’habitude de ne pas être prise au sérieux, mais seule l’Anne insouciante y est habituée et arrive à le supporter, l’Anne profonde n’en a pas la force. Quand il m’arrive vraiment de me forcer à soumettre la gentille Anne aux feux de la rampe pendant un quart d’heure, celle-ci se rétracte comme une sensitive dès qu’elle doit ouvrir la bouche, laisse la parole à Anne numéro 1 et a disparu avant que je ne m’en aperçoive.
En société, la douce Anne n’a encore jamais, pas une seule fois, fait son apparition, mais dans la solitude, elle l’emporte toujours. Je sais exactement comment j’aimerais être, comment je suis en réalité… à l’intérieur, mais malheureusement je ne le suis que pour moi-même. Et c’est sans doute, non c’est certainement pour cette raison que je prétends avoir une nature intérieure heureuse, tandis que les autres gens voient en moi une nature extérieure heureuse. A l’intérieur, l’Anne pure me montre le chemin, à l’extérieur, je ne suis rien d’autre qu’une petite chèvre turbulente qui a arraché ses liens.
Comme je l’ai déjà dit, je ressens toute chose autrement que je ne l’exprime et c’est pourquoi j’ai la réputation d’une coureuse de garçons, d’une flirteuse, d’une madame je-sais-tout et d’une lectrice de romans à l’eau de rose. Anne joyeuse s’en moque, rétorque avec insolence, hausse les épaules d’un air indifférent, fait semblant de ne pas s’en soucier, mais pas du tout, Anne silencieuse réagit complètement à l’opposé. Pour être vraiment franche, je veux bien t’avouer que cela me fait de la peine, que je me donne un mal de chien pour essayer de changer, mais que je dois me battre sans arrêt contre des armées plus puissantes.
En moi une voix sanglote : « Tu vois, voilà où tu en es arrivée, de mauvaises opinions, des visages moqueurs ou perturbés, des personnes qui te trouvent antipathique, et tout cela seulement parce que tu n’écoutes pas les bons conseils de la bonne moitié en toi. » Ah, j’aimerais bien écouter, mais je n’y arrive pas, quand je suis calme et sérieuse, tout le monde pense que je joue encore la comédie et alors je suis bien obligée de m’en sortir par une blague, sans même parler de ma propre famille qui pense qu’à coup sûr je suis malade, me fait avaler des cachets contre la migraine, et des calmants, me tâte le pouls et le front pour voir si j’ai de la fièvre, s’enquiert de mes selles et critique ma mauvaise humeur ; je ne supporte pas longtemps qu’on fasse à tel point attention à moi, je deviens d’abord hargneuse, puis triste et finalement je me retourne le cœur, je tourne le mauvais côté vers l’extérieur, et le bon vers l’intérieur, et ne cesse de chercher un moyen de devenir comme j’aimerais tant être et comme je pourrais être, si… personne d’autre ne vivait sur terre.
Bien à toi,
Anne M. Frank
Ici se termine le journal d’Anne Frank.
É pilogue
Le 4 août 1944, entre 10 heures et 10 h 30 du matin, une voiture s’arrêta devant l’immeuble du Prinsengracht 263. Un Oberscharfuhrer-SS en uniforme, Karl Joseph Silberbauer, en descendit, accompagné par au moins trois Hollandais au service de la police allemande, en civil mais armés. Il ne fait aucun doute que la cachette a été dénoncée. Les soupçons ont tout de suite porté sur le magasinier W.G. Van Maaren. Cependant, les deux enquêtes menées après guerre n’ont pu apporter suffisamment de preuves pour le poursuivre devant les tribunaux.
La police allemande arrêta les huit clandestins, y compris Viktor Kugler et
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