Le Journal D'Anne Frank
facilité, mériter le bonheur, cela signifie travailler, faire le bien, ne pas spéculer ou être paresseux. La paresse peut sembler attrayante, le travail donne une vraie satisfaction.
Les gens qui n’aiment pas travailler, je ne les comprends pas, mais ce n’est d’ailleurs pas le cas de Peter, il ne s’est fixé aucun but précis, il se trouve trop bête et trop incapable pour faire quoi que ce soit. Pauvre garçon, il ne sait pas encore ce que c’est que de rendre les autres heureux et je ne peux pas le lui apprendre. Il n’a pas de religion, parle de Jésus-Christ en termes moqueurs et il blasphème ; bien que je ne sois pas orthodoxe, j’ai chaque fois de la peine de constater à quel point il est solitaire, méprisant et démuni. Les gens qui ont une religion peuvent s’estimer heureux car il n’est pas donné à tout le monde de croire en des choses surnaturelles. Il n’est même pas nécessaire de craindre des châtiments après la mort ; le purgatoire, l’enfer et le ciel sont des notions que beaucoup n’admettent pas, mais une religion, peu importe laquelle, maintient néanmoins les hommes dans le droit chemin. Il ne s’agit pas de craindre Dieu, mais de garder en haute considération son honneur et sa conscience. Comme les gens seraient tous beaux et bons si chaque soir avant de s’endormir, ils se remémoraient les événements de la journée, puis s’interrogeaient sur le bien-fondé ou non de leurs actes. Dans ce cas, involontairement, on essaie de s’améliorer chaque jour de nouveau et au bout d’un certain temps, on fait sans aucun doute de gros progrès. Tout le monde peut avoir recours à ce petit système, il ne coûte rien et se révèle particulièrement utile. Car si on ne le sait pas, il faut apprendre et en faire l’expérience. « Une conscience tranquille donne de la force ! »
Bien à toi,
Anne M. Frank
SAMEDI 8 JUILLET 1944
Chère Kitty,
Broks est allé à Beverwijk et a obtenu sans difficulté des fraises à la vente à la criée. Elles sont arrivées ici pleines de poussière et de sable, mais en grande quantité. Pas moins de vingt-quatre cageots pour ceux du bureau et pour nous. Le soir même, on a mis en conserve les six premiers bocaux et fait huit pots de confiture. Le lendemain matin, Miep voulait préparer de la confiture pour le bureau.
A midi et demi, verrouillage de la porte d’entrée, destination cageots, bruits sourds de Peter, Papa et Van Daan dans l’escalier, Anne occupée à tirer de l’eau chaude du chauffe-eau, Margot à chercher un seau, tous sur le pont ! L’estomac noué, j’entre dans la cuisine du bureau pleine de monde, Miep, Bep, Kleiman, Jan, Papa, Peter, les clandestins et la colonne de ravitaillement, une vraie cohue et en plein jour ! Les rideaux et les fenêtres ouvertes, les bruits des voix, les portes qui claquent, je tremblais d’excitation. Nous cachons-nous encore vraiment ? La question m’a traversé l’esprit, on doit éprouver un sentiment comparable quand on a de nouveau le droit de s’exposer aux yeux du monde ? La casserole était pleine, vite, là-haut. Autour de la table de la cuisine, le reste de la famille équeutait les fraises, ou du moins était censé le faire ; il en finissait plus dans la bouche que dans le seau. Il a bientôt fallu un autre seau, Peter est retourné à la cuisine, on a sonné deux fois, le seau est resté là, Peter s’est précipité en haut, portes du placard verrouillées. Nous trépignions d’impatience, le robinet devait rester fermé et les fraises à moitié lavées attendaient de tremper dans leur bain, mais la règle de clandestinité restait de mise : quand quelqu’un se trouve dans la maison, fermer tous les robinets à cause du bruit d’eau dans les conduites.
A une heure, arrivée de Jan, c’était le facteur, Peter redescend vite. Dring, la sonnette, demi-tour. Je vais écouter si quelqu’un vient, d’abord à la porte-bibliothèque, puis en haut de l’escalier. Finalement, Peter et moi nous penchons tous deux au-dessus de la rampe, comme des voleurs, pour écouter les bruits venant d’en bas. Pas de voix inconnues. Peter descend doucement l’escalier, s’arrête à mi-chemin et crie : « Bep ! » Pas de réponse, il recommence : « Bep ! » Le bruit, dans la cuisine, couvre la voix de Peter. Puis il descend en bas de l’escalier et se précipite dans la cuisine. Prise d’angoisse, je regarde en bas :
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