Le Journal D'Anne Frank
bord du lit affaissé et couineur, où il n’y a même pas de matelas convenable : deux traversins empilés l’un sur l’autre feraient l’affaire : « Ce n’est pas la peine, c’est très bien comme cela ! »
Une fois plongé dans sa lecture, il ne relève pas la tête, rit de temps en temps, s’efforce à grand-peine de raconter une histoire à Maman malgré elle. « Je n’ai pas le temps ! » Sur son visage se lit une brève déception, puis il reprend sa lecture, lorsqu’il tombe un peu plus tard sur un autre passage amusant ou curieux, il tente à nouveau sa chance : « Il faut absolument que tu lises ça, Maman ! » Maman est assise sur le lit pliant, elle lit, coud, tricote ou étudie, selon les besoins du moment. Soudain, elle se souvient de quelque chose. Vite, elle le dit : « Anne, tu te rappelles…, Margot, tu veux bien noter…»
Le calme revient peu après. D’un coup sec, Margot ferme son livre, Papa fronce les sourcils en un arc amusant, sa ride de lecture se reforme et le voilà replongé dans son livre, Maman commence à bavarder avec Margot, je suis curieuse de ce qu’elles disent et me mets à écouter. On demande l’avis de Pim… Neuf heures ! Petit déjeuner !
VENDREDI 10 SEPTEMBRE 1943
Chère Kitty,
Chaque fois que je t’écris, il s’est encore passé quelque chose de spécial, mais la plupart du temps, il s’agit d’événements plutôt désagréables qu’agréables. Cette fois-ci, pourtant, les nouvelles sont bonnes :
Mercredi soir 8 septembre, nous nous étions installés devant la radio pour sept heures, et voilà les premiers mots que nous avons entendus : « Here follows the best new from whole the war : Italie has capitulated (1). » L’Italie a capitulé sans conditions ! A huit heures et quart, Radio Orange commençait à émettre : « Chers auditeurs, peu avant une heure et quart, alors que je venais de finir la chronique du jour, nous parvenait la merveilleuse nouvelle de la capitulation de l’Italie, je peux vous assurer que je n’ai jamais jeté mes papiers au panier avec autant de satisfaction qu’aujourd’hui ! »
On a passé God Save the King, l’hymne américain et celui des Russes, L’Internationale. Comme toujours, Radio Orange était encourageante mais pourtant pas trop optimiste.
Les Anglais ont débarqué à Naples. L’Italie du Nord est occupée par les Allemands. Dès vendredi 3 septembre, l’armistice était signé, le jour même du débarquement des Anglais en Italie. Les Allemands pestent et tempêtent dans tous les journaux contre la trahison de Badoglio et de l’empereur-roi italien.
Cependant, nous avons également de tristes nouvelles, à propos de M. Kleiman. Tu sais à quel point nous l’aimons tous et que, même s’il est toujours malade, souffre constamment et n’a pas le droit de trop manger ou marcher, il est toujours de bonne humeur et d’un courage admirable. « Quand M. Kleiman arrive, le soleil brille ! » a dit Maman récemment, et elle a tout à fait raison. Il doit aller à l’hôpital pour une opération très désagréable de l’intestin et devra y rester au moins quatre semaines. Si tu l’avais vu nous dire au revoir, on aurait cru qu’il partait seulement faire une petite course, c’est tout.
Bien à toi,
Anne
1 Nous allons vous annoncer la meilleure nouvelle de toute la guerre : l’Italie a capitulé.
JEUDI 16 SEPTEMBRE 1943
Chère Kitty,
Les relations internes ici vont de mal en pis. A table, personne n’ose ouvrir la bouche (sauf pour avaler un morceau) parce que soit on t’en veut de ce que tu dis, soit on le comprend de travers. M. Voskuyl vient de temps en temps nous rendre visite. Malheureusement, il n’a vraiment pas le moral. Il ne facilite pas les choses pour sa famille, car une seule pensée l’obsède : « Qu’est-ce que ça peut me faire, de toute façon, je vais mourir bientôt ! » Je peux très bien m’imaginer l’ambiance chez les Voskuyl, quand je pense à quel point ici ils sont déjà tous hargneux. Tous les jours, je prends de la valériane contre l’angoisse et la dépression, mais cela ne m’empêche pas d’être d’humeur encore plus lugubre le jour suivant. Un lion éclat de rire serait plus efficace que dix de ces comprimés, mais nous avons presque oublié ce que c’est de rire. Parfois, j’ai peur que mon visage se déforme et que ma bouche tombe à force d’être
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