Le Journal D'Anne Frank
vêtements des Van Daan. C’est triste, mais Van Daan a entièrement épuisé son argent. Ses derniers 100 florins, il les A perdus dans l’entrepôt, ce qui nous a encore valu des tracas. Comment 100 florins peuvent-ils atterrir le lundi matin dans l’entrepôt ? Pluie de soupçons. En tout cas, les 100 florins ont été volés. Qui est le voleur ?
Mais je parlais du manque d’argent. Madame ne veut se séparer d’aucun de ses vêtements parmi ses piles de manteaux, de robes et de chaussures, le complet de Monsieur n’est pas facile à vendre, la bicyclette de Peter est revenue après inspection. Personne n’en veut. On n’a pas encore vu la fin de cette histoire. Madame sera bien obligée de se défaire de sa fourrure. Son argument comme quoi c’est à la société de nous entretenir ne prendra pas. Là-haut, ils viennent de se disputer à ce propos comme des charretiers et en sont au stade de la réconciliation, avec des « Oh, mon cher Putti » et des « Ah, ma douce Kerli ». La tête me tourne de toutes les insultes qui ont volé à travers cette honorable maison depuis le mois dernier. Papa garde les lèvres pincées, si quelqu’un l’appelle, il lève les yeux d’un air tout effarouché, comme s’il avait peur de devoir à nouveau intervenir pour consolider une situation précaire. Maman a les joues rouges d’énervement, Margot se plaint de maux de tête, Dussel n’arrive pas à dormir, Madame se lamente à longueur de journée, et quant à moi, je perds la boussole. Pour dire vrai, j’oublie parfois avec qui nous sommes fâchés et avec qui nous sommes déjà réconciliés.
Le seul divertissement, c’est d’étudier, et j’y passe beaucoup de temps.
Bien à toi,
Anne
VENDREDI 29 OCTOBRE 1943
Chère Kitty,
M. Kleiman est de nouveau absent, son estomac ne le laisse pas en paix. Il ne sait pas lui-même si on a pu étancher tout le sang. Pour la première fois, il était vraiment déprimé quand il nous a dit qu’il ne se sentait pas bien et retournait chez lui.
Monsieur et Madame ont encore eu des disputes retentissantes. Voilà pourquoi : les Van Daan n’ont plus d’argent. Ils voulaient vendre un manteau d’hiver et un costume de Monsieur, mais n’ont pas trouvé d’acheteurs. Il en demandait un prix bien trop élevé. Un jour, il y a un certain temps déjà, Kleiman avait parlé d’un ami fourreur ; c’est pourquoi Monsieur a eu l’idée de vendre la fourrure de Madame. Le manteau est en peau de lapin et vieux de dix-sept ans. Madame en a obtenu 325 florins. Une somme énorme. Elle voulait garder l’argent pour s’acheter de nouveaux habits après la guerre, et Monsieur a dû utiliser toute sa force de persuasion pour la convaincre qu’ils avaient un besoin d’argent pressant pour gérer le ménage.
Ces hurlements, ces cris, ces piétinements et ces insultes, tu ne peux pas t’imaginer. C’était à faire peur. Ma famille se tenait en bas de l’escalier, retenant son souffle, prête à séparer les combattants en cas de besoin.
Toutes ces criailleries, ces pleurnicheries et cette nervosité provoquent tant de tension et de fatigue que le soir, je in’écroule sur mon lit en pleurant et remercie le ciel de disposer d’une demi-heure à moi toute seule.
Sinon je vais bien, sauf que je n’ai aucun appétit. J’entends sans arrêt : « Qu’est-ce que tu as mauvaise mine ! » Je dois admettre qu’ils se donnent bien du mal pour que je garde la forme. Sucre de raisin, huile de foie de morue, ! comprimés de levure et calcium sont tous à l’ordre du jour. Je suis loin de pouvoir toujours maîtriser mes nerfs, c’est surtout le dimanche que je me sens malheureuse. Ces jours-là, l’atmosphère dans la maison est oppressante, somnolente et pesante. Dehors, on n’entend pas un seul chant d’oiseau, un silence mortel, angoissant, s’abat sur tout et son poids s’accroche à moi comme pour m’entraîner dans les profondeurs d’un monde souterrain. Papa, Maman et Margot me laissent complètement indifférente, j’erre d’une pièce à l’autre, je descends puis remonte l’escalier, et me sens comme l’oiseau chanteur dont on a brutalement arraché les ailes et qui, dans l’obscurité totale, se cogne contre les barreaux de sa cage trop étroite. « Sortir, respirer et rire », entends-je crier en moi, je ne réponds même plus, je vais m’allonger sur un divan et dors pour abréger le temps, le silence et la
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