Le Journal D'Anne Frank
que ni Papa ni Maman ne comprennent qu’ils ne répondent pas à mon attente et que je les condamne pour cela. Existe-t-il des parents pour satisfaire totalement leurs enfants ? Parfois, je crois que Dieu veut me mettre à l’épreuve maintenant et à l’avenir; je dois devenir bonne toute seule, sans exemples et sans discours – pour être un jour la plus forte possible ?
Qui d’autre que moi lira un jour ces lettres ? Qui d’autre que moi me consolera? Car j’ai souvent besoin de consolation, je manque si souvent de force et j’ai plus souvent de raisons d’être mécontente de moi que satisfaite. Je le sais et je ne renonce pas à essayer chaque jour de m’améliorer.
Il n’y a pas de cohérence dans la façon dont on me traite, un jour Anne est très raisonnable et peut tout entendre et le lendemain, Anne n’est encore qu’une petite bécasse qui ne connaît rien à rien et s’imagine avoir appris monts et merveilles dans les livres ! Je ne suis plus le bébé et la petite dernière, qui en plus fait rire tout le monde à chacun de ses actes. J’ai mes idéaux, mes idées et mes projets, mais je n’arrive pas encore à les exprimer clairement.
Ah, tant de choses remontent à la surface quand je suis seule le soir comme d’ailleurs dans la journée, quand je dois supporter les gens qui me portent sur les nerfs ou qui me comprennent toujours de travers. C’est pourquoi en dernier ressort j’en reviens toujours à mon journal, c’est mon point de départ et d’arrivée, car Kitty est toujours patiente, je vais lui promettre de persévérer malgré tout, de me frayer ma propre voie et de ravaler mes larmes. Seulement, j’aimerais tant voir les résultats de mes efforts ou être encouragée, ne serait-ce qu’une fois, par quelqu’un qui m’aime.
Ne me juge pas mal, mais considère-moi plutôt comme quelqu’un qui de temps en temps a le cœur trop lourd.
Bien à toi,
Anne
MERCREDI 3 NOVEMBRE 194.1
Chère Kitty,
Pour nous distraire et nous cultiver un peu. Papa a demandé à l’Institut d’enseignement de Leyde son prospectus ; Margot a fureté au moins trois fois dans cette épaisse brochure sans rien trouver à son goût ou à la portée de sa bourse. Papa s’est montré plus rapide, il a voulu écrire à l’Institut pour faire l’essai d’une leçon de « latin niveau élémentaire ». Aussitôt dit, aussitôt fait, la leçon est arrivée, Margot s’est mise au travail pleine d’enthousiasme, et le cours, malgré son prix élevé, a été commandé. Il est bien trop difficile pour moi, même si j’aimerais beaucoup apprendre le latin.
Pour que je me lance moi aussi dans un nouveau sujet, Papa a demandé à Kleiman s’il pouvait se procurer une bible pour enfants afin que je connaisse enfin quelque chose du Nouveau Testament. « Tu veux donner à Anne une bible pour Hanouka ? » demanda Margot, quelque peu stupéfaite. « Oui… euh, je crois que la Saint-Nicolas serait une meilleure occasion », lui a répondu Papa. Jésus n’est tout simplement pas à sa place pour la fête de Hanouka.
Comme l’aspirateur est cassé, il faut que je frotte tous les soirs le tapis avec une vieille brosse. Fermer la fenêtre, allumer la lumière, le poêle aussi, puis épousseter le sol en passant la balayette. « Cela ne va pas durer », me suis-je dit dès la première fois. On ne va pas tarder à se plaindre et, en effet, Maman souffrait de maux de tête à cause des gros nuages de poussière qui restaient en suspens dans la pièce, Margot avait son nouveau dictionnaire latin couvert de saleté et Pim maugréait qu’après tout, le sol n’avait pas changé d’aspect le moins du monde. Voilà comment on est remercié de sa peine. La dernière décision de l’Annexe est d’allumer le poêle à sept heures et demie les dimanches, au lieu de cinq heures et demie du matin. Je trouve qu’il y a là un danger. Que vont s’imaginer les voisins en voyant la fumée sortir de notre cheminée ? De même pour les rideaux ; depuis notre arrivée, ils sont restés fixés exactement à la même place, parfois un de ces messieurs ou de ces dames est pris d’un caprice et veut absolument regarder au-dehors. Conséquence : une tempête de reproches. Réponse : « De toute façon, personne ne le remarque. » Voilà comment commence et se termine toute négligence. « Personne ne le remarque, personne ne peut l’entendre, personne n’y fait
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