Le Journal D'Anne Frank
qu’il savait.
Hier, alors que Margot, Peter et moi, nous épluchions les pommes de terre, la conversation a porté, d’elle-même, sur Moffi.
« Nous ne savons toujours pas quel est le sexe de Moffi ? » demandai-je.
« Si, c’est un mâle », a-t-il répondu. Je me suis mise à tire : « C’est cela, un mâle qui est enceinte. » Peter et Margot ont ri aussi de cette méprise amusante. En fait, Peter avait constaté, environ deux mois auparavant, que Moffi n’allait pas tarder à avoir des petits, son ventre avait visiblement grossi. Cependant, il s’était avéré que le gonflement venait de tous les bons morceaux qu’il avait piqués, les petits n’ont pas grandi, pas plus qu’ils ne sont nés. Peter n’a pas pu s’empêcher de défendre l’accusation, « Non, dit-il, tu peux même venir voir avec moi, une fois, quand je faisais le fou avec lui, j’ai pu observer très nettement que c’était un mâle. »
Je n’étais pas de taille à contenir ma curiosité et l’ai suivi à l’entrepôt. Moffi n’avait cependant pas d’heure de réception et restait introuvable ; nous avons attendu un moment, avons commencé à avoir froid et sommes remontés.
Plus tard dans l’après-midi, je l’ai entendu descendre une deuxième fois ; j’ai rassemblé tout mon courage pour traverser, seule, la maison silencieuse, et j’ai atterri dans l’entrepôt. Sur la table d’emballage se trouvait Moffi, il jouait avec Peter qui venait de le poser sur la balance pour vérifier son poids. « Salut, tu veux voir ? » Et sans s’attarder en préparatifs, il a soulevé le chat, l’a retourné sur le dos, lui a tenu adroitement la tête et les pattes et la leçon a commencé : « Voilà les parties sexuelles mâles, ça ce sont quelques poils isolés et ça, c’est son postérieur. »
Le chat a effectué un nouveau demi-tour et s’est retrouvé debout, sur ses petits bouts de pattes blancs.
Tout autre garçon qui m’aurait montré « les parties sexuelles mâles », je ne lui aurais plus lancé un seul regard. Mais Peter avait continué de parler avec un tel naturel de ce sujet autrement si pénible, avait évité le moindre sous-entendu déplaisant et à la fin m’avait tellement tranquillisée que j’avais fini par trouver cela naturel moi aussi. Nous avons joué avec Moffi, nous somme » bien amusés, avons bavardé ensemble et finalement, nous sommes dirigés sans hâte vers la porte, traversant le grand entrepôt.
« Tu étais là, quand on a castré Muschi ?
— Absolument, cela se passe très vite, évidemment l’animal est endormi.
— Et ils retirent quelque chose de cet endroit-là ?
— Non, le docteur ne fait que tordre le cordon testiculaire. On ne voit rien de l’extérieur. »
J’ai pris mon courage à deux mains, car il ne m’était pas si « naturel » d’en parler.
« Peter, si un geschleschtsteil veut bien dire les parties sexuelles, chez les mâles et chez les femelles, cela porte un nom différent.
— Je sais.
— Chez les femelles, cela s’appelle vagin, autant que je sache, chez les mâles, je ne sais plus.
— Bon.
— Mais après tout, ajoutai-je, comment peut-on connaître ces mots, le plus souvent, on les rencontre par hasard.
— Pourquoi ? Moi, je demande là-haut. Mes parents sont plus au courant que moi et ils ont aussi plus d’expérience. »
Nous étions dans l’escalier et je n’ai plus ouvert la bouche.
C’est vrai, avec une fille, je n’en aurais jamais parlé aussi naturellement. D’ailleurs, je suis certaine que Maman entendait tout à fait autre chose, quand elle m’a mise en garde contre les garçons.
Malgré tout, je ne me suis pas sentie tout à fait dans mon état normal de toute la journée, lorsque je me suis remémoré notre conversation, elle m’a quand même semblé singulière. Mais sur un point au moins, j’en sais maintenant davantage : il existe d’autres jeunes, du sexe opposé même, capables d’aborder ce sujet librement et sans faire de blagues.
Peter pose-t-il vraiment beaucoup de questions à ses parents, s’est-il montré hier soir sous son vrai jour ?
Ah, comment savoir ?! ! !
Bien à toi,
Anne
VENDREDI 28 JANVIER 1944
Chère Kitty,
Ces derniers temps, je me suis passionnée pour les .a lires et les tableaux généalogiques des familles royales et j’en suis arrivée à la conclusion qu’une fois que l’on se lance dans les recherches,
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