Le Journal D'Anne Frank
énormément, et il est étonnant de constater la capacité de travail, la noblesse de cœur et le désintéressement de ces personnes prêtes à perdre leur vie pour aider et pour sauver les autres. Nos protecteurs en sont le meilleur exemple, eux qui nous ont aidés jusqu’à présent à traverser ces temps difficiles et finiront, je l’espère, par nous amener sains et saufs sur l’autre rive, sinon il leur faudra partager le sort de tous ceux que l’on recherche. Jamais nous n’avons entendu un seul mot faisant allusion au fardeau que nous représentons certainement pour eux, jamais l’un d’eux ne se plaint que nous sommes une trop grosse charge. Chaque jour, ils viennent tous en haut, parlent d’affaires et de politique avec les messieurs, de nourriture et des tracas de la guerre avec les dames, de livres et de journaux avec les enfants. Ils font de leur mieux pour avoir l’air enjoué, apportent des fleurs et des cadeaux pour les anniversaires et les fêtes et sont partout et à tout instant disponibles pour nous. Voilà ce que nousnedevons jamais oublier, que même si les autres se comportent en héros à la guerre ou face aux Allemands, nos protecteurs font preuve du même courage en se montrant pleins d’entrain et d’amour.
Les histoires les plus ahurissantes circulent et pourtant, le plus souvent, elles sont vraies. Cette semaine, Kleiman nous a déclaré par exemple qu’en Gueldre, deux équipes de football se sont rencontrées, la première était uniquement composée de clandestins et la deuxième de onze gendarmes. A Hilversum, de nouvelles cartes à souches sont distribuées, et afin que les nombreux clandestins obtiennent eux aussi leur part de rationnement (on ne peut se procurer les cartes d’alimentation qu’en présentant lu carte nominale ou à raison de 60 florins l’une), les fonctionnaires chargés de la distribution ont convoqué tous les clandestins des environs à une heure précise pour qu’ils puissent retirer leur carte à une table spéciale. Il faut tout de même faire attention à ce que ce genre d’histoires ne reviennent pas aux oreilles des Boches.
Bien à toi,
Anne
DIMANCHE 30 JANVIER 1944
Très chère Kitty,
Nous voici de nouveau arrivés à dimanche ; il est vrai que ces jours-là ne me paraissent pas aussi terribles qu’au début, mais ils n’en restent pas moins ennuyeux.
Je n’ai pas encore été à l’entrepôt, peut-être que j’aurai le temps tout à l’heure. Hier soir, je suis descendue toute seule dans le noir, j’y étais allée deux jours plus tôt avec Papa. Cette fois-là, je me tenais en haut de l’escalier, de nombreux avions allemands passaient et repassaient et j’ai senti que j’étais un être isolé, ne pouvant compter sur le soutien de personne. Ma peur avait disparu, j’ai levé les yeux vers le ciel et je m’en suis remise à Dieu.
J’ai un terrible besoin d’être seule. Papa s’est aperçu que je ne suis pas comme d’habitude, mais je ne peux rien lui dire. « Laissez-moi tranquille, laissez-moi seule ! », voilà ce que je voudrais crier sans cesse. Qui sait ? Peut-être qu’on me laissera plus seule que je n’en ai envie !
Anne Frank
JEUDI 3 FÉVRIER 1944
Chère Kitty,
Chaque jour, l’espoir du débarquement grandit dans tout le pays et si tu étais ici, tu serais sûrement impressionnée, comme moi, par tous les préparatifs et, d’un autre côté, tu te moquerais de nous, à nous voir nous agiter peut-être pour rien ! Tous les journaux ne parlent que du débarquement et affolent les gens, car on y lit : « Dans l’éventualité où les Anglais débarqueraient ici, les autorités allemandes se verraient obligées de mettre tout en œuvre pour défendre le pays, et même au besoin de l’inonder. » Parallèlement, des cartes sont publiées où les régions inondables des Pays-Bas sont hachurées. Comme de vastes zones d’Amsterdam font partie des régions hachurées, la première question était de savoir quoi faire si l’eau atteignait un mètre de haut dans les rues.
Pour résoudre cette question difficile, les solutions les plus diverses ont afflué de toutes parts :
« Comme il est exclu de circuler à vélo ou à pied, nous devrons nous frayer un chemin dans l’eau stagnante. »
« Mais non, il faut essayer de nager. Nous nous mettrons tous un bonnet de bain et un maillot, et nous nagerons le plus souvent possible sous l’eau,
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