Le Journal D'Anne Frank
on est obligé de remonter de plus en plus dans le passé et l’on fait des découvertes de plus en plus intéressantes.
Bien que je consacre une énergie extraordinaire à mes études et que je sois capable de suivre le Home Service à la radio anglaise, je passe encore de nombreux dimanches à sélectionner et à trier les stars de cinéma dans mon importante collection, qui a atteint une dimension des plus respectables. M. Kugler me fait plaisir chaque lundi en m’apportant Cinéma & Theater ; même si cette gâterie est qualifiée de gaspillage par les habitants de la maison qui ne sont pas des gens du monde, ils s’étonnent chaque fois de la précision avec laquelle je suis capable de donner les noms exacts des acteurs dans un film sorti un an plus tôt. Bep, qui passe souvent ses journées libres au cinéma avec son ami, m’annonce le samedi le titre du film qu’ils se proposent de voir et je lui débite d’une seule traite aussi bien les interprètes des rôles principaux que les critiques. Il n’y a pas si longtemps, Mans a dit que, plus tard, je n’aurais pas besoin d’aller au cinéma car je connaissais sur le bout des doigts l’histoire, les stars et les critiques.
S’il m’arrive de débarquer avec une nouvelle coiffure, ils me regardent tous d’un air désapprobateur et je peux être sûre que l’un d’entre eux va me demander quelle star de cinéma se pavane de la sorte. Quand je leur réponds qu’il s’agit d’une de mes trouvailles, ils ne me croient qu’à moitié. Quant à la coiffure, elle ne tient pas plus d’une demi-heure, puis lasse de leurs jugements négatifs, je finis par me précipiter dans la salle de bains et me dépêche de rétablir ma coiffure à bouclettes ordinaire.
Bien à toi,
Anne
VENDREDI 28 JANVIER 1944
Chère Kitty,
Ce matin, je me suis demandé si tu n’as pas l’impression d’être une vache, qui se trouve sans cesse obligée de ruminer les vieilles histoires, que cette nourriture monotone finit par faire bâiller bruyamment et qui souhaite en silence qu’Anne lui déniche du nouveau. Hélas, je sais que ces vieilles histoires t’ennuient, mais imagine à quel point cela me rase de les voir refaire surface. A table, quand les discussions ne portent pas sur la politique ou les délices d’un repas, Maman ou Madame ressortent du placard leurs histoires de jeunesse ou Dussel radote sur l’abondante garde-robe de sa femme, les beaux chevaux de course, les barques qui prennent l’eau, les garçons qui savent nager à quatre ans, les douleurs musculaires et les patients anxieux. Autrement dit, quel que soit le sujet, quand l’un de nous huit ouvre la bouche, les sept autres sont capables de terminer l’histoire qu’il a commencée. La fin de chaque blague, nous la connaissons d’avance, et celui qui raconte une plaisanterie est le seul à en rire. Les divers laitiers, épiciers et bouchers des anciennes ménagères, nous nous les imaginons avec une barbe depuis le temps qu’ils sont portés aux nues ou démolis dans les conversations à table ; impossible qu’une chose reste jeune ou fraîche si on en parle à l’Annexe.
Tout cela serait encore supportable si les adultes n’avaient pas le don de répéter dix fois les histoires que Kleiman, Jan ou Miep nous servent et de les embellir à chaque fois de leurs propres inventions, si bien que je dois souvent me pincer le bras sous la table pour ne pas remettre dans le droit chemin le conteur enthousiaste. Les petits enfants comme Anne n’ont le droit de corriger les adultes nous aucun prétexte, quelles que soient leurs gaffes, ou les mensonges et les inventions qu’ils ont imaginés du début jusqu’à la fin. Il est un sujet que Kleiman ou Jan aiment (border assez fréquemment : se cacher ou entrer dans la clandestinité. Ils savent très bien que tout ce qui concerne les autres clandestins ou personnes cachées nous intéresse au plus haut point et que nous participons aux malheurs des victimes d’arrestations comme à la joie des prisonniers délivrés. La clandestinité, les cachettes sont devenues des notions aussi familières que l’habitude, autrefois, de mettre les pantoufles de Papa devant le poêle. Des organisations comme Vrij Nederland, qui fabriquent de fausses pièces d’identité, prêtent de l’argent aux clandestins, libèrent des endroits pour en faire des cachettes et offrent du travail aux jeunes chrétiens qui se cachent, il en existe
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